Ruth Van Reken est née au Nigeria de parents américains. Elle habite aux Etats-Unis, où on a du mal à comprendre pourquoi elle a la peau blanche. Elle a aussi élevé ses trois filles… au Libéria. Autant dire que les conflits d’identité, elle connait.
Elle en a fait un livre, les Third Culture Kids, une expression qui désigne ces enfants de familles mobiles, qui vivent entre différentes cultures et qui, comme elle, « ne savent pas qui ils sont et d’où ils viennent ». Samedi, elle était invitée à parler au Lycée français de New York, dans le cadre de “My Culture, Your Culture”, un colloque sur la diversité culturelle. Entretien.
French Morning: Pourquoi vous battre pour ces “Third Culture Kids”?
Ruth Van Reken: Ces enfants sont mis dans des boites qu’ils ne comprennent pas. Leur diversité n’est pas reconnue et ils se retrouvent bloqués car on les force à se définir. Parce que tous les enfants veulent s’intégrer, ils arrêteront soudainement de parler français car ils ne veulent pas être perçus comme différents.
Beaucoup d’enfants se disent que s’ils s’installent dans un nouveau monde, ils devront renier ce qu’ils étaient. Cela n’est pas obligé d’être le cas. Je connais un enfant de dix ans qui voulait rentrer au Portugal. Sa famille lui a dit qu’il n’était plus portugais. Ça l’a rendu triste. Il leur a dit: ‘je suis portugais mais je suis d’autres choses aussi’. C’est important d’affirmer qu’on peut tout être à la fois. Vous pouvez avoir un socle d’où vous venez, la France, auquel vous ajoutez d’autres couches.
Comment ces enfants entre plusieurs cultures peuvent-ils assumer leur multiculturalisme?
Nous ne pouvons pas changer tout le monde, mais on peut commencer par là où nous sommes. Quand les parents changent de pays, ils donnent aux enfants une nouvelle expérience. Mais il faut que la famille soit forte de manière à offrir à l’enfant un endroit auquel il peut s’identifier.
Les parents doivent aussi savoir qu’il y a une différence entre consoler et encourager. Ils ont trop souvent envie de pousser l’enfant à s’adapter, lui dire que tout va bien se passer. Mais ils le privent d’un endroit où être triste.
Il faut faire vos « au revoir » correctement. Un enfant ne pourra pas dire “bonjour” à un nouvel endroit sans avoir dit « au revoir » à l’ancien. Il faut faire des obsèques: faire une fête par exemple, prendre des photos de l’endroit que l’on quitte, prendre des photos des animaux domestiques… C’est une manière d’affirmer les choses positives qui s’y sont produites. Les parents ne doivent pas expédier le processus. C’est clé pour faire une transition de qualité.
Cela fait depuis 1998 que vous organisez des conférences sur ce sujet dans le cadre de votre association « Families in Global Transition ». Que reste-t-il à faire?
L’information est meilleure, mais beaucoup de familles n’y ont toujours pas accès. Nous sommes à la croisée des chemins. Car assez de personnes vivent ces relocalisations aujourd’hui. Dans quelques années, la plupart des enfants seront transculturels. Partout, le monde est venu à nous. Je vis à Indianapolis. Quand j’ai emménagé là-bas il y a 20 ans, tout le monde venait de là. Aujourd’hui, il y a cinquante nationalités au square mile. Le transculturalisme est devenu la norme, nous devrions nous en féliciter!