« Aujourd’hui, le développement des applications de l’IA va très vite et il n’existe pas de barrières de sécurité, de guide d’utilisation, ni de moyens de contrôle dans l’usage qu’en font les enfants ». Voilà le constat qui, en janvier 2024, pousse Anne-Sophie Seret, multi-entrepreneure dans le domaine éducatif, à co-fonder everyone.AI. À ses côtés, Grégory Renard, expert en Intelligence Artificielle, Céline Malvoisin, orthophoniste, et Mathilde Cerioli, expert en neurodéveloppement (cf. photo de Une), tous de la baie de San Francisco.
Partageant les mêmes valeurs et les mêmes inquiétudes, les quatre co-fondateurs français de cette organisation à but non lucratif ont associé leurs expertises afin d’anticiper et d’éduquer sur les risques et les opportunités de l’IA pour les enfants. Leur idée ? Défendre une intelligence artificielle responsable et éthique. La cheffe de projet de préciser que l’IA désigne la generative AI, c’est-à-dire la création de contenu à partir de données existantes (textes, images, sons….), et le machine learning qui permet aux machines de s’améliorer grâce aux données récoltées (algorithmes, etc.).
« Nous sommes convaincus que l’IA va s’accompagner de progrès si elle est utilisée à bon escient, explique Anne-Sophie Seret. C’est un peu comme l’arrivée des calculatrices à l’époque, elles ont augmenté les possibilités, mais il a fallu encadrer leur utilisation… ». Parmi les avancées potentielles, elle évoque le fait de pouvoir aller plus loin dans la réflexion, la diminution de certaines inégalités éducatives (« à condition de ne pas faire le travail à la place des enfants »), la possibilité de tester vraiment les connaissances en remplaçant les questionnaires à choix multiples par des conversations approfondies ou encore celle de repérer un enfant qui va mal.
Ces évolutions s’accompagnent également de risques. Le problème soulevé par everyone.AI étant que « les applications ne sont pas conçues par des spécialistes de l’éducation ni par des experts du développement. » Or, comme le souligne l’experte, le cerveau d’un enfant comprend des phases critiques de développement sur les plans cognitif, affectif et émotionnel.
« Vers 5-6 ans, un enfant acquiert par exemple la distinction entre la réalité et l’imagination grâce aux répétitions de son quotidien. S’il passe du temps sur des jeux de réalité virtuelle, il peut confondre et penser que le dragon qu’il voit dans son jeu appartient à sa réalité… Il y a un véritable impact de l’imaginaire importé dans le réel ». Et c’est précisément pour protéger ces phases majeures du développement cérébral qu’everyone.AI souhaite intervenir.
Ce que prône l’équipe ? Une approche multi-disciplinaire et multi-expertise. Cela permettrait aux développeurs ainsi qu’aux ingénieurs d’intégrer les notions essentielles du développement neurologique des enfants dans leurs idées. Everyone.AI comme trait d’union entre les différents mondes. « La protection des enfants fait l’unanimité, mais il faut dialoguer et collaborer ensemble pour avancer », assure Anne-Sophie Seret. Afin de soutenir leur démarche, l’équipe a d’ailleurs recensé 400 études cliniques et rassemblé une vingtaine d’interviews d’experts à la pointe de ces questions dans un rapport de recherche disponible ici.
Du côté régulatoire, l’équipe travaille à instaurer des barrières légales, comme des degrés de dangerosité ou des âges limites pour encadrer l’usage de certains outils. « Les films s’accompagnent bien de mentions indiquant qu’ils ne sont pas recommandés pour telle ou telle tranche d’âge. On voudrait appliquer ce genre de précaution à l’IA. On voudrait apporter la ceinture de sécurité inexistante à l’heure actuelle… » affirme la Française.
Autre grand volet d’actions : l’éducation auprès des parents, des entreprises et des structures éducatives pour lesquelles everyone.AI fournit des points de repères et des consignes. L’organisation vend ainsi des conférences et des webinaires, de la NASA à l’Université de Californie à Berkeley en passant par les écoles. Soutenue par le consulat général de France à San Francisco, la non-profit déploie aujourd’hui ses actions à l’international et a déjà engagé des discussions avec l’UNICEF comme avec la Commission Européenne. En parallèle de ce travail de terrain, elle cherche à lever des fonds pour renforcer son impact et consolider la suite. Objectif : poursuivre ses missions de sensibilisation, d’éducation et de prévention.