Il faut avoir de l’endurance pour suivre Étienne Wiik dans les rues de New York. En l’espace d’une quarantaine de minutes, l’entrepreneur nous emmène au pas de course voir trois de ses cafés, Ground Central Coffee, concentrés dans le quartier de Midtown. Tout en répondant à nos questions, il salue des gens qu’il ne connaît pas sur son chemin, remercie une cliente qu’il croise dans la rue, prend quelques minutes pour expliquer à une employée comment réchauffer un sandwich pour qu’il garde toute sa saveur…
« Je ne rêve pas de conduire une Ferrari, je veux juste prendre soin de ma famille et faire ce que j’aime. La plus grande richesse de mon parcours à New York, c’est la liberté. Personne ne me dit quoi faire. Je décide, j’échoue, je réussis… », dit-il en sortant de son nouvel établissement au 1166 6th Ave., au coin de la 45e rue.
Au total, le Français a ouvert neuf Ground Central Coffee, soit peu ou prou un par an en moyenne depuis la création de la marque en 2013. Un beau rythme de croisière pour l’homme d’affaires, arrivé à New York l’année d’avant pour suivre sa femme, employée d’une grande boîte d’informatique. « On est venu pour une semaine avant qu’elle ne demande sa mutation. Je suis tombé amoureux de la ville. Je veux mourir ici ! »
Peut-être est-ce parce que la Grosse Pomme, son dynamisme, son melting pot lui rappellent la terre de son enfance : Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) ? « Le béton fait partie de mon ADN. Je puise de l’énergie dans tout ça », lance-t-il en montrant les rues bourdonnantes de Midtown. « Il y a des gens que ça oppresse. Moi, ça me nourrit ».
À son arrivée aux États-Unis, il met d’abord son énergie au service d’un projet de création de terrains de foot à cinq et approche Thierry Henry, qui jouait à l’époque pour les New York Red Bulls. Quand l’aventure footballistique tourne court, il décide de se rabattre sur un business qu’il connaît: le café. En France, au sortir de HEC, Étienne Wiik avait monté une entreprise de services pour cafés et hôtels-restaurants.
Avec l’aide d’un associé, il ouvre le premier Ground Central sur la 52e rue, entre Lexington et la 3e avenue. « J’ai pris un local pour un loyer de 17 500 dollars par mois. Tout le monde pensait que j’étais fada. Quelques années plus tard, ce coffee shop faisait 1,8 million de dollars de revenus, se félicite-t-il. À New York, on boit trois à quatre fois plus de café qu’ailleurs dans le pays. Dans la rue, on voit toujours des gens se balader avec un gobelet dans la main. Certes, il y a énormément de compétition, mais cela veut aussi dire qu’il y a un marché énorme. »
Son ambition : proposer une alternative aux grandes chaînes comme Dunkin Donuts et Starbucks qui dominaient le paysage à l’époque. Pour se démarquer, il fait donc le pari d’établissements accueillants aux allures de lounges, avec sofas et fauteuils confortables et décoration individualisée – des fresques murales qui évoquent l’histoire et l’architecture du voisinage. Des livres sont aussi proposés à la vente sur des étagères.
Il prend l’adage « location, location, location » très au sérieux : presque tout ses commerces sont situés à Midtown, le quartier des affaires de Manhattan qui bénéficie d’un trafic piéton très important, synonyme de revenus volumineux. « Au début, j’ai envisagé d’ouvrir un café français à Bryant Park, mais je me suis rapidement dit que personne ne voulait d’un énième commerce comme ça. Ground Central, c’est le cadeau d’un ‘new New Yorker’ à la ville. »
Le passage de l’ouragan Covid, période qu’il a traversée en « faisant beaucoup d’économies, comme si j’étais en guerre », ne l’a pas freiné dans ses ambitions. Un dixième établissement est en cours de travaux en face de Grand Central. L’entrepreneur envisage également de monter sa propre torréfaction pour produire son café en interne et lancer une école pour baristas. « Nous sommes en processus de levée des fonds », glisse-t-il.
« Quand je suis arrivé aux États-Unis, j’ai convaincu mes interlocuteurs d’investir ou de miser sur des projets de développements grâce à mon approche humaine. En France, il aurait fallu que je fasse partie du sérail », reprend-t-il. Il s’arrête au carrefour de la Sixième avenue et de la 45e rue, à quelques pas de son nouveau café. « J’ai l’impression d’être devenu qui je devais être. Regarde autour de toi. On est au cœur du monde ! ».