Le vin et le fromage français pourraient devenir des produits de luxe aux Etats-Unis d’ici un an. L’USTR (pour United States Trade Representative, le bras armé du président américain sur les questions de commerce) a publié lundi 8 avril une liste préliminaire de près de 330 produits européens menacés de surtaxes douanières à hauteur de 11 milliards de dollars.
Dans cette liste longue de neuf pages, 40 types de fromages (dont le Roquefort, le Stilton, le Pecorino…) et de nombreux vins sont dans le viseur du gouvernement américain, sans compter les huiles d’olive, un grand nombre de fruits de mer, de textiles et d’objets plus surprenants comme des horloges murales ou des pinceaux d’artistes.
Mercredi 17 avril, la Commission européenne a riposté avec sa propre liste de près de 390 produits américains menacés de pénalités commerciales à hauteur de 20 milliards de dollars, dont le ketchup, le café, de nombreux produits surgelés, jus de fruits et autres variétés de tabac et pièces automobiles.
Pour comprendre cette escalade, il faut se replonger dans le conflit vieux de 14 ans entre Airbus et Boeing, explique Charles R. Hankla, professeur associé de politique comparative dans les relations internationales spécialisé dans le commerce à l’Université d’Etat de Géorgie.
Tout commence en 2004, lorsque les Etats-Unis déposent une plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), arguant que les aides publiques européennes accordées à son concurrent outre-Atlantique sont source de concurrence déloyale. Un an plus tard, l’Union européenne dépose une plainte contre les Etats-Unis, agitant les mêmes chefs d’accusation. Depuis, Washington et Bruxelles ont toutes deux été pointées du doigt par l’organisation internationale.
Cependant, les efforts de l’Europe pour faire respecter les conclusions de l’OMC ne sont pas du goût de l’USTR, qui estime encore à 11 milliards de dollars par an les préjudices causées par les subventions européennes.
The World Trade Organization finds that the European Union subsidies to Airbus has adversely impacted the United States, which will now put Tariffs on $11 Billion of EU products! The EU has taken advantage of the U.S. on trade for many years. It will soon stop!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 9 avril 2019
Les Etats-Unis peuvent-ils réellement faire tomber un tel couperet sur le commerce transatlantique ? En attendant le rapport de l’OMC qui paraîtra cet été et tranchera sur la légitimité des 11 milliards de dollars, le gouvernement de Donald Trump cherche à faire pression sur l’Europe en menaçant, non seulement les produits aéronautiques, mais aussi des produits à forte portée culturelle, comme le sacro-saint fromage français. « Ces surtaxes peuvent facilement faire la Une : “Les Américains n’achèteront plus de brie” », observe Charles R. Hankla, qui soupçonne également le gouvernement américain de punir la France pour sa tiédeur dans les négociations internationales sur l’agriculture.
Un autre paramètre, et non des moindres, s’ajoute à l’équation : Donald Trump, qui « s’est toujours montré sceptique vis-à-vis de l’OMC », constate l’économiste. « Il a tendance à recourir plus librement que ses prédécesseurs à la notion de “sécurité nationale”, qu’il utilise un peu comme un mot magique pour contourner les recommandations de l’OMC », poursuit-il, citant les relations commerciales tendues avec la Chine et la Russie notamment.
« L’OMC ne punit pas elle-même les pays. Elle autorise les pays à se punir entre eux », précise l’expert. En somme, Donald Trump pourrait décréter que les 11 milliards de dollars de manque à gagner pour l’économie américaine sont légitimes, malgré les conclusions de l’OMC.
Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du commerce a quant à elle déclaré dans un communiqué du mercredi 17 avril : « Soyons clairs, il ne s’agit pas de rendre coup pour coup. Même si nous devons préparer des contre-mesures dans l’éventualité où il n’y aurait pas d’autre issue, je continue de penser que le dialogue est la solution qui devrait s’imposer. » Charles R. Hankla reste cependant dubitatif face à ce scénario : cette querelle Airbus-Boeing dure depuis 14 ans « et rien n’indique que cela s’arrangera de si tôt. »