Le réalisateur britannique Ridley Scott (« Blade Runner », « Thelma & Louise », « Gladiator »…) a réussi un bel exploit : transformer une figure historique aussi complexe que Napoléon en personnage fade et sans-relief. C’est, en résumé, le sentiment qu’on a à l’issue de la projection de son « Napoléon », sorti en salles aux États-Unis la semaine dernière, à grand renfort de promotion.
Très attendu, le biopic se veut une biographie romancée de l’empereur déchu, de son émergence dans le chaos de la Révolution française jusqu’à sa mort en exil sur l’île de Sainte-Hélène après la défaite de Waterloo. Il alterne entre deux trames narratives : son histoire d’amour avec Joséphine de Beauharnais, avec qui il essaie désespérément d’avoir un enfant, et ses exploits sur le champ de bataille, à commencer par la reprise de Toulon aux mains des forces britanniques et royalistes en 1793.
Malheureusement, ce choix binaire occulte complètement la richesse du personnage historique controversé, un Corse maîtrisant mal le français qui s’est hissé aux cimes du pouvoir… Au lieu de raconter cette ascension fulgurante, et sa chute, le Napoléon de Ridley Scott, incarné par l’Américain Joaquin Phœnix qu’on a vu plus inspiré, est un homme terne et sans saveur, qui émet des bruits bizarres quand il veut copuler.
Le film se termine par un bilan humain des batailles de Napoléon, comme si la violence était son unique héritage. Il est indéniable que le despote a ensanglanté l’Europe, rétablissant au passage l’esclavage dans les colonies (aspect totalement absent du film), mais il a aussi façonné la France moderne. On lui doit notamment le baccalauréat, le Code civil ou encore la création des préfets pour structurer le territoire.
En plus de comporter son lot d’inexactitudes historiques, le fait que les personnages sont tous anglophones crée une barrière supplémentaire. Les noms des ministres et généraux entourant Napoléon sont parfois difficiles à saisir, et les « vive la France ! » lancés avec un accent anglais prêtent à sourire.
La réalisateur dirait qu’il n’avait pas l’intention de faire un documentaire, mais on peut regretter qu’il n’ait pas utilisé son talent et son budget (200 millions de dollars) pour brosser un portrait plus rigoureux de Napoléon… Car s’il y a bien un dirigeant dont la vie n’a pas besoin d’être romancée pour en faire l’objet d’un long-métrage à succès, c’est lui !
D’autres cinéastes ont beaucoup mieux saisi la complexité du personnage. C’est le cas de Sergei Bondarchuk, réalisateur du formidable « Waterloo », où Rod Steiger incarne avec brio le rôle d’un leader militaire autant admiré qu’irascible et malade lors de cette dernière débâcle face aux armées britanniques et prussiennes.
Certes, tout n’est pas à jeter dans le film de Scott. Certaines scènes sont superbes, comme la bataille d’Austerlitz, une victoire napoléonienne en 1805, et celle de son sacre comme premier empereur des Français à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les costumes aussi valent leur pesant d’or. Mais cela n’est pas assez pour faire oublier le reste. Au bout de vingt minutes, on décroche…
Pour répondre aux vives critiques de la part de la presse française, beaucoup plus dure que les journalistes américains ou britanniques si l’on en croit le New York Times, le réalisateur a dit que « les Français ne s’aim(aient) même pas ». Il a aussi invité ses détracteurs à « s’acheter une vie ». En tout cas, la polémique fait vendre. « Napoléon » a enregistré plus d’un million de dollars au box office le jour de sa sortie en France. Cela ne veut pas dire que tout le monde est ressorti du cinéma conquis…