Esther Perel est sans doute la Belge la plus connue des Etats-Unis. La psychothérapeute, surnommée “la gourou de sexe”, est devenue la référence dans les médias américains pour toute question sur les relations et la sexualité grâce à son style sans détour.
Cette New-Yorkaise de 60 ans ne véhicule pas uniquement son expertise sur les plateaux télévisés ou dans les magazines. Malgré la célébrité, elle continue de recevoir deux jours par semaine ses patients dans son cabinet sur la 5th Avenue, au coeur de Manhattan, et intervient auprès d’entreprises. Quand elle n’est pas en consultation, cette polyglotte qui parle neuf langues rédige des livres, donne des conférences à travers le monde, répondant “à une demande de la nouvelle génération intéressée par les modèles pluriels”. Ou diffuse son expertise au travers de podcasts “qui permettent d’entrer dans son cabinet”, ou lors de conférences TED, cumulant 20 millions de vues sur YouTube.
Elle sera en déplacement prochainement sur la côte Ouest, pour une présentation sur le futur de l’amour le samedi 26 mai à Santa Cruz et participer à la conférence “Women teach Men” entre les 20 et 22 juillet à Ojai.
Redonner sa complexité à l’infidélité
Etudiant le couple depuis 35 ans, au travers du prisme du changement sociétal et culturel, cette empiriste s’est longtemps intéressée aux couples de migrants, inter-raciaux et à ceux qui ont vécu un changement de régime politique. Un intérêt hérité de son passé: ses parents, immigrés polonais, étaient des rescapés des camps de concentration nazis.
Naturellement, elle bifurque sur le couple au sens large. Son article sur « l’intelligence érotique », devenu un livre en 2006, attire l’attention des médias. La machine est lancée. “Il traite du paradoxe des couples, tiraillés entre le besoin d’engagement et celui de liberté”, explique la diplômée de l’université de Jérusalem au discours bien rôdé. “La monogamie a changé, on est passé d’une personne pour la vie à une personne à la fois.”
Lors de sa tournée promotionnelle, la sexologue se rend compte que ses lecteurs n’ont qu’un chapitre en tête: “L’ombre du tiers”. “L’infidélité offre une facette du drame humain – la trahison, l’abandon, la possessivité – qui est fondamentale au grand amour romantique, assure Esther Perel. C’est un sujet tabou, muré dans les silences et le secret ; trop souvent traité de manière simpliste avec une victime et un coupable. Il faut lui redonner sa complexité.”
L’infidélité, elle en a d’ailleurs fait le sujet de son deuxième livre, The State of affairs (Je t’aime, je te trompe en français), écoulé à près de 50.000 exemplaires aux Etats-Unis. “J’ai passé 10 jours à mettre le bon timbre dans la version française“, avoue-t-elle.
C’est l’affaire Monica Lewinski, qui a ébranlé l’Amérique à la fin des années 1990, qui l’a poussée à approfondir cet aspect. “Aux Etats-Unis, on trouve acceptable de divorcer plusieurs fois, mais s’il y a une transgression dans le mariage, on est considéré comme un déviant”, assure celle qui s’inscrit dans la lignée de Ruth Westheimer, une sexologue américaine bien connue.
Son postulat sort des sentiers battus. “Je m’intéresse aux couples qui sont dans des relations stables et satisfaisantes, mais avec des infidélités”, décrit Esther Perel. “Plus de 2.000 couples se sont proposés pour des séances (non-confidentielles), apportant un nouveau regard sur l’infidélité.” C’est notamment le cas d’un homme marié, qui trompe sa femme atteinte d’Alzheimer qui ne le reconnaît plus. “Beaucoup ne veulent pas tromper leur partenaire, mais celui qu’ils sont devenus. Ils sont à la recherche d’un nouveau ‘moi’.”
Sans détour, elle dédramatise des situations, détourne la faute sur les attentes toujours plus grandes qui reposent sur le couple. “Les jeunes sont nomades de 14 à 28 ans. Sans compter que les applications (de type Tinder) ont créé des doutes. Il faut alors que notre relation soit plus extraordinaire que toutes les autres. Alors, ils ne peuvent imaginer l’infidélité, qui se compare à une perte d’identité.”
Mais ne croyez pas à de la complaisance de la part de la Belge : “Je ne suis ni dans le jugement, ni dans l’approbation.” Une justification qui est davantage répétée à l’attention des lecteurs américains, pour qui son accent flamand peut être associé à des considérations libertines quand elle parle de fidélité.
Pour autant, elle ne fait pas l’unanimité chez ses confrères :”certains pensent que je légitimise l’infidélité“. Elle donne ainsi l’exemple d’une patiente, obsédée par la maîtresse de son mari. Pour matérialiser ce sentiment, Esther Perel lui avait proposé de créer un autel dédié à la maitresse chez eux. “Des psychothérapeutes m’ont accusé de l’avoir re-traumatisée”.
“Aux Etats-Unis, l’infidélité, c’est mal. En France, elle fait mal.”
Imprégnée par sa double-culture, la sexologue aime comparer les impacts de la tromperie chez ses concitoyens. “Pour les Américains, l’infidélité, c’est mal. En France, elle fait mal. Il y a un élément moralisateur plus présent dans la culture anglo-saxonne que dans la culture latine où elle n’est pas uniquement vécue comme une trahison, mais comme l’expression d’un dilemme existentiel, entre l’amour et le désir”, différencie-t-elle. Elle remarque également des approches différentes dans la thérapie : “aux Etats-Unis, la transparence est la clef de la rédemption ; alors qu’en Europe, nous avons plus de respect pour le non-dit.”
Intarissable sur ce sujet, cette pétulante blonde s’attaque à présent à un nouveau thème “lancé par le mouvement MeToo” qui “a renforcé les tensions, et libéré la parole” : le futur de la masculinité. “Les femmes ont passé 50 ans à réfléchir leur identité. Le XXIe siècle sera celui du changement de l’homme”, assure la reine des punchlines. Elle a déjà organisé six conférences sur les modèles de socialisation de l’homme. Nul doute que la sexologue préférée des médias va continuer à décoincer l’Amérique.