Un mal étrange semble sévir à New York où des restaurants français installés depuis plus de vingt ans sont obligés de mettre la clé sous la porte. La fermeture de Florent (lire : Florent viré du Meatpacking) a bien sûr marqué les esprits, le restaurant étant devenu un lieu emblématique du Meatpacking. Mais la liste est plus longue. Les amateurs de filet mignon ne pourront plus se rendre chez René Pujol, sur la 51e rue (entre 8 et 9ème avenue). Ouvert en 1970, le restaurant a fermé fin février. C’est fini aussi pour l’Entrecôte (1ère avenue et 57ème) après 35 ans d’existence. Jean-Paul Mouttet explique simplement avoir perdu son bail. Le bistrot Le Madeleine, du côté du Theater district ferme ses portes après 28 ans, mais cette fois les raisons sont précisées. Sur son blog, le gérant du restaurant explique : « Mark Scharfman (le propriétaire), nous a expulsés […] parce qu’il planifie de démolir le site et construire encore un autre immeuble dans un secteur déjà surchargé ». Vient s’ajouter à la liste Aix Brasserie, certes plus récent mais pourtant promis à un bel avenir puisque conduit par Didier Virot, un ancien de chez Jean-Georges, et Philip Kirsh. Le New York Times avance qu’ «apparemment, les dépenses et d’autres difficultés sont devenues trop difficiles à gérer pour Kirsch qui se démène déjà pour maintenir son autre restaurant FR.OG». La fermeture de Chez Laurence, réputé pour ses croissants, a également été annoncée pour la fin du mois.
Les New Yorkais se seraient-ils lassés du steak au poivre, du cassoulet ou de la soupe à l’oignon ? Aymeric Clemente n’y croit pas. Pour son nouveau restaurant Bagatelle, ouvert il y a quelques mois à deux pas de chez Florent, il a parié sur la cuisine française car d’après lui New York est suffisamment «cosmopolite» et «ouvert» pour que la bonne bouffe française continue de trouver des amateurs.
“Dining is cyclical” affirme le New York Times pour expliquer le «dining ecosystem» new yorkais, qui veut que les restaurants s’usent et soient régulièrement remplacés. La longévité de l’Entrecôte ou de René Pujol reste en cela un fait exceptionnel. La ville est en effet connue pour son roulement plus que fréquent au niveau des restaurants. Changements de propriétaires, d’ambiance, de décors voire de type de nourriture : this is New York. Le magazine Business week rapporte en 2007 que 60% des restaurants ferment ou changent de propriétaires au cours de la première année. Au bout de trois ans, ce sont 75% qui subissent ce sort. André Campana, ancien propriétaire de l’Oustalet, un restaurant français de Manhattan explique : «C’est New York qui veut ça : les restaurants doivent en permanence se renouveler, se réinventer car les gens se lassent vite et il y aura toujours un nouveau restaurant qui ouvrira à côté, plus jeune, plus trendy».
La clef: adaptation et innovation. Benoît, le dernier Ducasse ouvrira ses portes à l’emplacement exact de la Côte Basque, ancien grand restaurant français. Alain Ducasse espère en faire un bistrot informel, moins guindé que ce qui se fait d’habitude mais mettant toujours le goût au centre de ses préoccupations.
Les fermetures de restaurants sont essentiellement dues au prix de l’immobilier qui atteint des sommes mirobolantes. Loin de ne toucher que les restaurants français, la flambée de l’immobilier commercial est d’autant plus difficile à gérer pour les commerçants de longue date. Dans l’Upper West Side, le Café la Fortuna, qui compte parmi ses anciens clients John Lennon et Yoko Ono, ferme après 32 ans de bons et loyaux services. Le propriétaire Vincent Urwand accuse le marché de l’immobilier «out of control» d’avoir fait de son restaurant une nouvelle «victime».
«Le prix de l’immobilier a atteint un tel niveau qu’il n’y aura bientôt que la fringue qui pourra se permettre de payer» prédit Florent. Son avocat Michael Cohen reproche ainsi le propriétaire du 69 Gansevoort Street de vouloir remplacer Florent par «un Gap ou un Starbucks». Quant à la propriétaire de l’Entrecôte, elle aurait clairement expliqué à Jean-Paul Mouttet qu’elle ne voulait plus d’un restaurant à cet emplacement. Désormais une sorte de sélection naturelle s’opère grâce à la pression immobilière. Seuls les commerces les plus rentables, à savoir les grandes marques de vêtements, sont désormais capables de payer des loyers si élevés pour les meilleurs emplacements. Peu importe d’être à perte, l’important étant d’être vu. Le phénomène est connu puisqu’il avait déjà été décrit en 2006 par Le Monde sur la situation à Paris. La Ville accusait alors les grandes enseignes de «gonfler de manière démesurée les prix des loyers» afin de se «payer une vitrine pour asseoir leur notoriété».
Florent fermera définitivement le 29 juin, jour de la gay pride, bien que la fin du bail soit due pour le 31 mars. Et pour que l’histoire se termine sur une note joyeuse, Florent invite ses clients à participer à un concours : « Racontez une anecdote, une histoire originale qui vous serait arrivée au restaurant ». En jeu : une table pour le dernier soir de Florent.
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… encore un coup de la vache folle ou des fromages qui puent!