Emploi du temps toujours aussi chargé pour Laurent Cantet en cette fin d’automne 2008, près de six mois après la Palme d’Or pour son film “Entre les Murs”. Il est arrivé hier à New York, décolle demain pour Paris, après trois semaines d’une tournée promotionnelle intensive aux États-Unis, pour préparer la sortie du film en décembre. “Entre les Murs”, ou “The Class“, pour les anglophones, est une des curiosités de la rentrée cinématographique américaine, un des rares films français à occuper le haut de l’affiche dans les médias, au coude-à-coude avec “A Christmas Tale” d’Arnaud Desplechin, sorti début novembre.
Auréolé de la notoriété acquise au Festival de Cannes, le film a ouvert le New York Film Festival mi-septembre, avant d’être projeté à la cérémonie de clôture du French Film Festival de San Francisco, puis au festival de l’American Film Institute à Hollywood, et plus récemment encore au festival du film de Denver. Chacun de ses passage sur grand écran a été salué par un succès critique unanime. Dans un long article, le New York Times a qualifié le film de “an artful, intelligent movie about modern French identity, (…) an exotic change” (“un film artistique et intelligent sur l’identité francaise d’aujourd’hui, (…) un changement exotique”), et la blogosphère cinéphile est conquise. “The Class est une plongée absolument fascinante dans la société française“, “C’est une exploration captivante de la nature humaine et du progrès social” peut-on lire sur FirstShowing.net, le blog de référence du petit monde hollywoodien.
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Voir le reportage:
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Une couverture médiatique sans précédent pour un film de Laurent Cantet, permise par le succès cannois de mai 2008, lorsque Sean Penn, alors président du jury, avait déclaré que c’était un “amazing, amazing film”. Sony, le distributeur américain du film, a depuis déployé les gros moyens: c’est la plus vaste sortie américaine de tous les films de Laurent Cantet, avec un premier round le 19 décembre pour la sortie du film à New York et Los Angeles, et ensuite au mois de janvier pour tout le reste du territoire.
Au milieu de cette effervescence, Laurent Cantet garde la tête froide. “C’est sûr que la Palme d’Or a créé une attente particulière“, mais il ajoute:”Je ne pense jamais à qui va aimer mes films, et heureusement! (…) Quand on a commencé ce projet ce n’était même pas sûr qu’il y ait un film au bout”. Et il a d’autant plus toutes les raisons de se montrer calme qu’il ne doute pas de ses chances de succès: “Déjà mes films précédents avaient su trouver leur public dans les grandes villes américaines“. Mais surtout, les sorties précédentes ont prouvé que, quels que soient les pays, le film recevait un accueil à chaque fois enthousiaste. “Depuis Cannes, on s’est rendu compte que le film savait toucher un public et un jury international, et qu’il pouvait parler à des gens pour qui la France est uniquement une image assez lointaine”.
Un paradoxe presque, puisque “Entre les murs” invite pendant deux heures le spectateur à s’immerger dans une réalité tout ce qu’il y a de plus franco-française: celle du quotidien sans artifice d’une classe du vingtième arrondissement de Paris. Comment arriver alors à exporter cet intérêt national pour ces élèves et leur professeur à d’autres contextes socio-politiques? C’est une des qualités, et en amont un des enjeux du film, sur lesquels Laurent Cantet a énormément travaillé: “A partir du moment où on parle du particulier, on a des chances d’arriver à des questions universelles, et c’est une des choses qui me touche beaucoup“.
Au cœur des thèmes universels abordés par le réalisateur, on retrouve ceux de la vie en communauté et de la formation de la démocratie. “Quel rapport à la communauté dans laquelle on vit?”,”Comment faire pour se prendre en compte les uns les autres?”, “Comment devient-on un adulte responsable?, “Comment la démocratie peut-elle s’exercer dans un groupe donné?“, autant d’interrogations articulées autour d’une problématique commune: quelle place laissée aux enfants issus de l’immigration? “Des gamins à qui on n’a pas donné de place“, explique Laurent Cantet, qui ajoute: “Avec les questions de l’intégration et l’éducation, j’ai l’impression que l’on touche à un tronc commun de l’humanité. Ce sont des questions qui se posent de manière à peu près identique partout dans le monde, même si chaque pays y répond ensuite différemment.”
De conférences de presse en interviews, ce dernier a constaté, non sans une légère surprise au départ, que son film suscitait de pays en pays les mêmes réflexions. Mais si “The Class” soulève de nombreux points de débats, son réalisateur ne veut pas y prendre part, ni prétendre y apporter des solutions. “Je n’ai jamais essayé de créer une image exemplaire de l’Ecole. Je n’ai jamais dit «voilà ce que c’est», et «voilà ce que ça devrait être»”. Laurent Cantet revendique un point de vue, déconnecté des actuelles polémiques sur la place et du rôle de l’école. “Le débat sur l’école est trop encombré d’idéologies très marquées, entre les anciens et les modernes, qu’il est de toute façon impossible d’en sortir quelque chose de constructif“.
Pour un film dont la qualité repose en particulier sur la force des dialogues, le passage en version étrangère s’est révélé un exercice périlleux, et parfois fatal, comme en témoigne la dramatique erreur italienne: “La version du film doublé en italien m’a hérissé, j’avais l’impression que le film n’existait plus!” soupire catastrophé le réalisateur. Pour conserver la spontanéité des échanges, le choix du sous-titrage s’imposait donc à l’équipe de production américaine.
Mais comment traduit-on un imparfait du subjonctif en anglais? Et tous ces gros mots idiomatiques bien de chez nous? Laurent Cantet confesse que cela a été un travail de très longue haleine pour adapter les dialogues à chaque langue. “Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant la subtilité d’un imparfait du subjonctif que de montrer comment le langage est un marqueur social.” L’enjeu de la traduction n’est donc pas d’être fidèle au script, car “je n’ai pas d’attachement particulier au texte en lui-même” ajoute-t-il ensuite, mais de trouver des connotations sociales équivalentes dans chaque pays pour que la scène continue à fonctionner.
Pourtant, le choix du titre “The Class” ne respecte pas la signification originale de l’expression “Entre les Murs“. Laurent Cantet concède lui-même qu’il préfère le titre français, plus riche de sens. “«Entre les Murs» décrit mieux le film: il y a la description du dispositif, les quatre murs, de trois caméras et l’idée d’un huis-clos pendant deux heures”. Tout n’a pas été perdu au change cependant, puisque le réalisateur fait remarquer que “The Class” ajoute un double-sens évocateur: celui de la classe sociale. Education et reproduction sociale, un débat auquel n’échappe aucun pays, et saura peut-être aussi enflammer le comité des Oscars: la France a proposé le film dans la catégorie “Meilleur film étranger”. Réponse le 22 janvier pour savoir si ce dernier fera partie des heureux nominés…