Qui a réellement gagné le premier tour de l’élection présidentielle : François Hollande ou Marine Le Pen ? A la lecture de la presse américaine, la question se pose.
En effet, beaucoup de titres se penchent sur la montée des extrêmes lors du scrutin de dimanche. Une poussée que le New York Times attribue à un désir de changement en France. « La forte poussée de la gauche et la colère reportée sur les extrêmes semblent refléter un désir de changement en France après 17 ans de centrisme et de conservatisme présidentiel », assure le journal. Un autre article sorti dans le Times avant le scrutin explique ce désir d’extrêmes par « la nostalgie pour la puissance passée de la France (qui existe) de manière égale à droite comme à gauche, disent les analystes. C’est le deuil collectif de la perte de cette stature internationale qui nourrit, selon certains, la défiance des électeurs envers des leaders qui ne peuvent plus faire face – et leur volonté de voter pour les candidats des marges, comme Melle Le Pen et M. Mélenchon ».
Pour le Washington Post, c’est le score du Front National qui retient l’attention: « Le bon score de la candidate de l’extrême droite est venue comme une surprise », souligne le quotidien, auquel Bloomberg embraye le pas. Selon le site d’information financière, le résultat de « mammouth » de la « télégénique » Marine Le Pen, est un « tremblement de terre politique ». Pour l’ Associated Press, le FN sera « la clé pour la victoire décisive le 6 mai ». La campagne de Le Pen a puisé sa force dans la frustration de la classe moyenne francaise, analyse pour sa part le site d’information The Huffington Post. Au second tour, « séduire les extrêmes occupera probablement une grande partie de la campagne ».
Sarko le lièvre, Hollande la tortue
En tout cas, pour la presse américaine, le grand perdant de ce premier tour est sans conteste Nicolas Sarkozy. Pour le Huffington Post, qui compare Hollande à la tortue dans la fable d’Esope, la personnalité du président-candidat l’a conduit à sa perte. « Quand Hollande projette du calme, même au dernier jour de la campagne, Sarkozy, fidèle à son habitude, était une boule d’énergie frénétique ». Selon le site, les sondages prouvent « une forte demande des Français pour tourner la page après cinq ans de Sarkozy aux commandes ». Ils seraient à la recherche d’un chef de file « rassurant ». En Nicolas Sarkozy, il ne trouverait qu’un politicien « crispé dont le style commence à taper sur les nerfs ». Un autre article du Huffington Post ne manque pas de rappeler tous les épisodes qui « sont mal passés » comme la fête post-électorale au Fouquet’s ou l’épisode du « casse toi pauv’ con » au Salon de l’Agriculture. Autant de fautes rédhibitoires pour le site d’information. Même son de cloche dans les colonnes du Christian Science Monitor, qui a publié un article intitulé « l’élection présidentielle française sera un referendum sur Sarkozy, l’homme » avant le scrutin. Il cite le politologue Dominique Moisi, expert de prédilection des médias américains : « ‘C’est complètement émotionnel, c’est injuste et irrationnel. Mais Sarkozy a violé des règles fondamentales non écrites du système politique français’, citant son penchant pour le mélange constant de la vie privée et de la vie publique ».
Obama et Hollande, même combat ?
Pour le New York Times, le rejet de Sarkozy est aussi l’une des raisons de la victoire de François Hollande, mais le socialiste a une arme secrète que Sarkozy n’a pas: une équipe de campagne inspirée… par Barack Obama. Le journal suit Arthur Muller, Vincent Pons et Guillaume Liegey, trois jeunes socialistes qui se sont rencontrés à Harvard. Ce trio forme le cerveau de la campagne obamesque de François Hollande. La comparaison peut prêter à sourire, mais pour le Times, c’est du sérieux. « Ces derniers mois, ils ont travaillé à recruter et former 70.000 volontaires pour aller frapper à 3,5 millions de portes. Après avoir vu la campagne à succès de Barack Obama, ils sont de retour en France, utilisant des modèles américains de porte-à-porte pour aller chercher les électeurs de gauche qui se seraient abstenus », en particulier dans les banlieues. Si Hollande a Obama dans la poche, c’est mal parti pour Sarkozy !
Péril rose sur les marchés
Les journaux américains se préparent-ils à la défaite de ce dernier? Les marchés, eux, oui. L’Associated Press rappelle que la victoire au premier tour de François Hollande « inquiète les marchés financiers », en référence à l’ouverture en baisse de la Bourse de Paris ce lundi. Une baisse que le Washington Post relativise : « Les analystes soulignent que la baisse est certainement plus due à des soucis sur l’Europe en général que les craintes envers un résident de gauche au palais de l’Elysée ».
« Le choix de la France entraîne des implications importantes pour le reste de l’Europe », rappelle pour sa part le Wall Street Journal. Le journal économique et financier explique que, « jusqu’à présent, le pays s’est conformé à la politique d’austérité de l’Allemagne pour lutter contre la crise… Mais M. Hollande, qui est le favori pour gagner le 6 mai, a encouragé ses voisins à dépenser plus pour stimuler la croissance économique ». Steven Erlanger, correspondant du New York Times en France, renchérit en affirmant que la France ne serait pas seule à combattre la position allemande. L’Espagne, l’Italie et le Portugal pourraient rejoindre l’effort, note-t-il. « La réduction des dépenses publiques en plein milieu d’une récession économique se révèle difficile, même pour les conservateurs ». Une politique particulièrement compliquée à mettre en place en France, laisse-t-il entendre. Citant l’économiste François Heisbourg, Erlanger indique que « la préférence des Français pour l’augmentation des impôts plutôt que les coupes dans les dépenses publiques est très profonde », à la différence des anglo-saxons. Dans son blog, Ezra Klein du Washington Post se demande carrément « un socialiste français peut-il sauver la zone euro? ». Il répond en ne répondant pas, mais laisse entendre que l’élection de ce candidat « anti-austerité » pourrait mettre un terme aux politiques de rigueur mises en place dans différents pays européens. « L’élection d’Hollande pourrait apporter une rectification attendue depuis longtemps en Europe, ou pourrait déclencher une crise qui mettra en péril le projet européen et des ondes de choc d’incertitude financière qui atteindront nos rives ». On en saura plus dans deux semaines.