Derrière une sobre façade de verre fumé, à West Melbourne, 65 petites mains s’affairent. Leur activité est top secrète. Et pour cause, ces travailleurs de l’ombre rendent les guerres possibles.
Nous sommes à ISO Group, une compagnie créée par deux Français, Tom et Alex Techoueyre, et trois associés. A n’importe quel moment, la société doit être en mesure de fournir, sur tous les théâtres d’opérations, n’importe quelle pièce de rechange pour les véhicules de l’armée. Un réacteur pour chasseur F-16 ? Une chenille pour un char ? Ou même le boulon qui permettra de réparer la chenille ? Ils l’achemineront, si possible en un temps record.
Avoir un tour d’avance
Tom Techoueyre est arrivé aux États-Unis en 1984, à 16 ans. Il termine ses études secondaires à Miami, puis intègre l’université d’où il ressortira un diplôme d’ingénieur en poche. Il travaille ensuite pour un voyagiste avant de créer sa propre société spécialisée dans les réseaux de communication. Il comprend que l’Internet va « révolutionner le monde ». Et surtout, qu’il faut toujours avoir un tour d’avance.
En 1998, il fonde sa propre compagnie, spécialisée dans la vente en ligne de composants électroniques. Dans sa base de données sont référencés des milliers de composants. Un prélude à sa future activité ? En 2002, le Français, qui a trouvé un emploi dans une compagnie de Melbourne (Floride), apprend que les armées ont le plus grand mal à se fournir en pièces détachées. La raison : les fabricants d’équipements militaires fournissent, avec le matériel vendu, un « package » de pièces de rechange tout en étant incapables de poursuivre l’approvisionnement une fois toutes ces pièces utilisées. Aucune de ces sociétés n’a voulu créer de département spécialisé dans ce domaine, car cela se serait révélé non rentable. Conséquence : pour les clients, les délais de livraison des pièces de rechange sont extrêmement longs (de trois à six ou sept mois) et les tarifs exorbitants. Le Français voit dans ce vide une opportunité à saisir. En 2003, ISO Group est né. « Au début, c’était vraiment difficile, se souvient Tom Techoueyre. Nous n’avions pas de capitaux propres, et on payait les dépenses courantes avec nos propres cartes de crédit ».
Tant qu’il y aura des guerres….
Aujourd’hui, le petit bureau est installé sur la côte Atlantique, à Indian Harbour Beach. Toute l’activité de la société repose sur la performance de sa base de données et de son système informatique. L’optimisation des flux de commandes est essentielle. C’est pour cette raison qu’ISO-Group a conçu pour ses propres besoins un nouveau logiciel capable de traiter des centaines de demandes par jour et d’y répondre en un temps record. Aujourd’hui, la société aligne un million de références de pièces fournies par 12.000 vendeurs pour répondre aux demandes de 8.000 clients à travers le monde. Parmi eux, le gouvernement américain, les Nations unies, mais aussi de nombreuses puissances sur les cinq continents. Ses salariés finalisent quotidiennement 600 commandes. Celle dont aime se souvenir Tom Techoueyre, c’est un lot de pièces détachées pour des tanks en Irak, en 2008. Montant de la transaction : 8 millions de dollars. C’était à travers, évidemment, un contrat américain.
On imagine bien qu’une telle entreprise, qui opère dans des secteurs ultra-sensibles, doit être étroitement observée. En effet, le Département d’État, la CIA, la NSA et le FBI la surveillent comme le lait sur le feu. Mais ce n’est pas un problème, expliquent ses dirigeants: « Il suffit de bien rester dans les clous… ».
Aujourd’hui, la compagnie travaille sur des produits nouveaux, comme un moteur pour équiper les « Hummer » de l’armée américaine. Si tout se passe bien, il faudra en fournir 150.000. Huit ans après sa création, ISO-Group « pèse » entre 100 et 200 millions de dollars. Tant qu’il y aura des guerres, la société ne pourra que se développer. C’est dire si elle a encore de beaux jours devant elle.