A la Vegan Fashion Library, un showroom niché dans un loft de Los Angeles depuis plusieurs semaines, on trouve une veste argentée en cuir d’ananas, des talons en cuir de pomme, une veste en liège, une combinaison à base de plantes, une robe réalisée avec de la teinture botanique, une autre en soie de bambou… Bref des vêtements de qualité, imaginés par des designers créatifs et engagés dans une démarche vegan. Bien loin des clichés de vêtements pour hippies.
Derrière ce showroom unique, se trouve une Française tout aussi ambitieuse : Emmanuelle Rienda. “J’essaie de rassembler deux mondes : la mode durable et vegan. Notre mission est de changer l’industrie de l’intérieur et d’élever la conversation. Car une remise en question peut commencer par la mode pour aller jusqu’au lifestyle”, défend-t-elle. Le tout sans juger, ni effrayer : “Nous montrons de la beauté au lieu de la violence (contre les animaux).” Et pour cela, elle compte aussi y intégrer des meubles et des produits de beauté sous peu, ainsi qu’organiser des dîners.
Emmanuelle Rienda fait beaucoup plus que présenter des designers vegan. Avec la localisation stratégique du showroom, au coeur du Fashion District, elle veut changer l’industrie et faire en sorte que des créateurs de vêtements vegan se retrouvent dans les grands magasins. “Je suis en train de placer des designers chez Nordstrom”, se réjouit-elle.
L’ouverture de ce showroom n’était pas un objectif pour Emmanuelle Rienda. Mais la pandémie l’a obligée à se renouveler. “La Vegan Fashion Library remplace nos événements, nous permet de communiquer avec les acheteurs et les stylistes, nous donne de la visibilité”, justifie l’Auvergnate.
Elle a débuté sa mission en créant la Vegan Fashion Week à Los Angeles en 2019, lancée à l’occasion de la Nuit des Idées au Musée d’histoire naturelle. Le concept avait alors attiré l’intérêt des médias internationaux. “C’est devenu viral, on s’est retrouvé dans 3.000 magazines”, se réjouit la trentenaire qui se décrit comme “l’inverse d’une extrémiste”. Lors de la deuxième édition, au Ace Hotel, les artistes Moby, Kate Nash, ainsi qu’Emily Deschanel étaient de la partie. Aujourd’hui, des marques comme Louis Vuitton la contacte, et les recherches sur le “vegan fashion” ont explosé sur Internet. Mais la troisième édition, prévue en avril 2020, a dû être reportée en raison des restrictions sanitaires, avant d’être annulée.
Un refus de rester hypocrite
Emmanuelle Rienda revient de loin. En France, en parallèle de son travail (alimentaire) chez Pierre et Vacances, elle vendait du vintage sur Ebay, puis s’amusait à détecter et répertorier les créateurs français émergents sur son site God Bless America. Après avoir tout quitté pour suivre son mari américain à Los Angeles, cette passionnée de mode poursuit sa démarche et crée un showroom rassemblant les designers français, French Lab (installé au California Market Center), qu’elle dirigera de 2008 à 2016. “Je proposais des marques de luxe françaises qui font du “made in China” et ne respectent pas forcément les conditions de travail.”
Outre cet aspect qui l’écoeure, cette végétarienne, amoureuse des animaux et intriguée par le veganisme, s’intéresse au “spécisme”. “Pourquoi considérer que les chiens et chats sont des animaux domestiques et à côté de ça, manger les vaches ?”, interroge-t-elle. Son éthique prend alors le dessus: “aucune marque que je représentais n’était prête à trouver des alternatives à la laine, soie ou au cuir. J’ai décidé de fermer le showroom car je me sentais hypocrite.”
Elle débute alors deux années de recherche sur l’exploitation animale, allant jusqu’à visiter des abattoirs. Et s’engage auprès d’associations de défense des animaux, telles que Direct Action Everywhere et Peta. S’en suivent des déconvenues, les mouvements refusant de s’intéresser à la mode et ayant un discours très agressif. Sans appui, mais animée par ses convictions, elle va alors dénicher à travers le monde des designers avant-gardistes dans leur démarche créative (comprenez responsable pour la planète et vegan) afin de rassembler une communauté.
Une levée de fonds pour s’exporter
Son objectif est alors de révolutionner la base de l’industrie : la conception. Emmanuelle Rienda interpelle L.A Textile (où sont vendues les matières premières) pour accéder à “la source du problème“, proposer des alternatives. Elle met alors le pied à l’étrier en co-organisant une conférence sur la mode vegan en 2018, à laquelle va participer “via Facetime” Kanye West (entre autres). L’artiste va d’ailleurs flasher sur un blouson en matière recyclée et l’acheter.
Seule et sans budget, elle lance la Vegan Fashion Week en 2019 et le Vegan Fashion World, un marché destiné aux professionnels où elle présente de la mode, de la beauté et de la gastronomie vegan. Ainsi elle aspire à “éduquer l’industrie, mais aussi les consommateurs”. “Le mot vegan fait peur, j’essaie de battre les clichés, de montrer que le vegan va de paire avec la compassion, la créativité et l’inclusif”, raconte celle qui fait autant la communication que la direction artistique.
“Los Angeles faisait sens pour monter ces projets, car il n’y a pas de compétition et qu’il y a un climat politique clément avec les lois pour protéger les animaux. Je veux en faire une destination mode éthique mondiale.”
Privée temporairement d’événements, elle ne s’apitoie pas sur son sort et prépare une levée de fonds. “Je veux développer la Vegan Fashion Week à l’international, que ce soit à Paris ou Milan, jusqu’à ce que ça devienne la norme. Mais aussi dupliquer le concept de la Vegan Fashion Library dans d’autres villes.” Pour l’instant, ce sont les designers qui financent le projet.
Sans compter que des investisseurs lui permettraient d’embaucher. Emmanuelle Rienda pourrait alors poursuivre sa mission et proposer du “consulting” aux marques de “fast fashion” qui sont intéressées par les alternatives qu’elle propose. “Post-pandémie, on n’aura plus le choix, nos problèmes viennent de l’exploitation animale, il faut changer nos habitudes”, argue-t-elle. Pour interpeller de manière globale, la Française va notamment monter une troisième édition de la Vegan Fashion Week virtuelle en octobre.