Est-ce pour faire oublier la crise de confiance de l’an dernier et le couac des sous-marins australiens que Joe Biden a choisi, pour la première visite d’État de sa présidence, d’inviter son homologue français ? En tout cas, à l’Élysée, on y voit une « marque de reconnaissance rare » de la part de la Maison Blanche, l’occasion de « construire du partnership ». Quatre ans après avoir été reçu avec faste par le président Donald Trump, Emmanuel Macron entamera, mercredi 30 novembre, sa deuxième visite d’État à DC, accompagné de nombreuses personnalités, dont l’écrivain américain francophile et francophone Douglas Kennedy, « invité personnel » du président français.
Emmanuel Macron et Joe Biden semblent déterminés à tourner la page pour discuter ensemble du défi climatique, des questions économiques, des échanges culturels, de la coopération spatiale ou encore des programmes d’éducation. Pour l’Élysée, cette visite est l’occasion de poursuivre l’étroite coordination de la France et des États-Unis sur la scène internationale, mais également d’approfondir une relation bilatérale.
Pour Célia Belin, chercheuse-associée à Brookings Institute de Washington depuis 2017, « les enjeux sont beaucoup plus importants pour cette visite » par rapport à 2018. Dans un monde post-Covid et après neuf mois de guerre en Ukraine, Emmanuel Macron porte des questions qui sont bien loin des tracas de 2018. Parmi les sujets brûlants, « il y a la défense européenne et les discussions autour de la sortie de guerre en Ukraine, mais sur le long terme, il y a la question du renforcement la défense européenne avec une Russie totalement hostile ».
Ce renforcement des relations franco-américaines arrive après « la dispute autour de l’accord sur les sous-marins nucléaires, alors que les États-Unis et la France sont dans un processus de réconciliation », rappelle la spécialiste des relations transatlantiques. Mais Paris, c’est aussi un partenaire qui partage de nombreuses questions avec Washington. « Les États-Unis peuvent aborder un grand champs de sujets avec la France, parler des questions nucléaires, des questions globales et des réformes financières ».
Pour Nicolas Véron, économiste au Peterson Institute for International Economics de Washington, « cette visite sera plus constructive cette année, car on a plus de thèmes de convergence comme les questions de sécurité et d’affaires étrangères ». Il note également que la France parle aussi au nom de l’Union européenne : « Le président Macron vient comme Français mais aussi comme Européen, il fait partie des vétérans politiques avec son deuxième mandat ».
La visite d’État va également être l’occasion de discuter des priorités de chaque pays car, pour Célia Belin, les États-Unis et la France ont une « divergence sur les sujets prioritaires ». « La France se penche plutôt sur les questions de contre-terrorisme au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Afrique sub-saharienne alors que les Américains se sont éloignés de ces sujets ». Pour la chercheuse, il y a donc un « conflit de priorités » entre les deux pays amis. « Le partenariat a besoin d’être discuté, et les États-Unis ont également besoin que la France converge sur la Chine ».
« Le partenariat est toujours solide, mais soumis à des forces centrifuges difficiles », souligne Célia Belin, précisant que « la crise en Ukraine a renforcé l’OTAN et affaibli la stratégie d’indépendance des Européens ». La chercheuse rappelle que « la France a besoin des Américains pour réaffirmer que l’Europe peut se défendre ».
Les deux pays vont également aborder les réformes d’institutions internationales comme le Fonds monétaires international et la Banque mondial. « La France va se faire le relais des demandes des pays du Sud qui demandent une aide pour la transition écologique », note-t-elle. Pour rappel, la France et l’Allemagne ont signé des accords de prêts lors de la COP 27 avec l’Afrique du Sud pour que chaque pays accorde chacun 300 millions d’euros de financement à la nation africaine.
L’autre sujet brûlant pour les deux pays est « la question du Inflation Reduction Act qui finance les entreprises américaines au détriment des Français », estime Célia Belin. Nicolas Véron rappelle que « c’est un problème euro-américain, et la France n’est pas le seul acteur » à pâtir des subventions de Washington prévues pour les industries américaines, notamment les voitures électriques. « Le président Emanuel Macron va évoquer le sujet mais ce n’est pas sûr que cela se règle, c’est un sujet épineux car les Américains, le Mexique et le Canada sont exempts, ce qui discrimine les pays de l’Union européenne », souligne l’économiste.
Pour Célia Belin, « face au protectionnisme américain, les Européens sont furieux, donc la France va porter cette question ». Concurrent ou partenaire sur ce sujet ? La France espère que les États-Unis feront un choix qui bénéficie aussi aux nations européennes.