Il passe par la cheminée, parfois par une porte secrète. On le considère comme un elf ou un lutin. Délateur, adorable, freaky… French Morning a mené son enquête dans les foyers pour savoir s’il faut consacrer ou non du temps et de la place au Elf on the Shelf.
Au matin du 1er décembre 2023, dans un café de l’Upper West, un groupe de mamans s’est réuni autour de lattés, cappuccinos et de thés verts. On ne parle que de lui. « Il est un peu freaky, non ? » « Mes enfants l’adorent. » « Hors de question de l’avoir à la maison ! » Angéline s’approche de la table : « Mais de qui parlez-vous ? » Les visages se tournent vers la nouvelle arrivée à New York : « Le lutin ! The Elf on the Shelf !
— Jamais entendu parler. »
Marianne sort son téléphone et montre la photo d’un petit personnage au sourire espiègle, tout de rouge vêtu, jusqu’au bonnet pointu. « On ne sait pas très bien si c’est un garçon ou une fille. Mes enfants l’appellent ‘lutine’ » « Et nous ‘filou’, parce qu’il est quand même censé mettre le bazar. »
C’est même sa principale activité. Selon la tradition, le personnage reste sagement immobile pendant la journée, menton contre les genoux, mais se lâche complètement une fois les enfants au lit. « Un peu comme les hamsters », commente Stéphanie*, pour qui la tradition n’est qu’une vaste opération marketing. « Mais pas du tout ! réplique Johanna. Les enfants l’adorent.
— Ils n’ont même pas le droit de le toucher !
— Sinon il perd son pouvoir. »
Le conte de Noël commence en 2004, lorsque Carol Aebersold, une maman du Tennessee, se lance dans l’écriture d’une histoire de lutin pour ses jumelles. Aucun éditeur n’en veut. L’auteure décide de le publier sur Internet, puis lance sa propre maison d’édition pour vendre le livre et la figurine du lutin sur les salons et les foires.
Les débuts sont modestes, mais en 2007, l’actrice Jennifer Garner (« Yes Day », « Juno ») est photographiée avec le kit sous le bras. Les ventes accélèrent. Un passage à la télévision entérine le succès. En 2012, il est inclus dans le défilé de la Macy’s Parade d’Halloween. On parle désormais d’une dizaine de millions de figurines vendues de par le monde.
Non content de mettre le bazar dans les foyers américains, le lutin rend également compte de l’activité des enfants au père Noël, la nuit, grâce à son pouvoir magique. « Un espion… Un délateur… On habitue les enfants à une surveillance permanente » s’insurge Caroline**. « On les responsabilise, lui rétorque Sarah. Le lutin, c’est l’école de la vie ! »
Devant leurs lattés, les mamans sont divisées. Il y a les familles qui jouent le jeu et consacrent du temps, tous les matins, à trouver sa nouvelle cachette ou confectionner des pièges pour l’attraper pendant la nuit. « C’est le seul moment de l’année où mes enfants se lèvent sans difficulté. »
Et puis les autres : « Se rajouter de la pression… Avec tout ce qu’on a déjà à faire… Très peu pour moi ! » « C’est vrai que ça nous est arrivé plusieurs fois de nous réveiller en sursaut en criant ‘Le lutin !’ » « Tu vois ! jubile Stéphanie. » « Lorsqu’il l’a vu pour la première fois, ce matin, mon fils était pétrifié, raconte Marianne. Lui, d’habitude si… tonique… on ne l’a pas entendu. Radical !
— Tu as peut-être besoin d’un flic à la maison… Pas moi. »
Les esprits s’échauffent. Le ton monte. Le sujet déchaîne les passions et le lutin s’amuse. « Ma fille m’a demandé comment la poupée pouvait être ‘made in China’ quand elle était supposée venir du Pôle Nord. » « Je ne voudrais pas jouer la Grinch, mais on n’arrête pas de leur mentir. Est-ce qu’on ne peut pas leur dire, pour une fois, la vérité ?
— Moi, je suis pour les laisser encore un peu rêver.
— Pareille, mais pas sûre de tenir encore 23 jours. Mon fils est tellement flippé qu’il ferme la porte de sa chambre pour être sûr que le lutin n’y entre pas. »
Stéphanie et Caroline échangent un regard complice. « Pourquoi ça ne nous étonne pas ? »
9h. Les lattés ont refroidi. Pendant que Carol Aebersold fait fructifier sa petite entreprise de Noël avec de nouveaux personnages, un renne et un Saint-Bernard, les mamans de l’Upper West s’embrassent : « Bonne journée les filles ! Et surtout, n’oubliez pas de le changer de place cette nuit.
— Pourquoi ? Sinon tu nous dénonces au père Noël ? »
* et ** les prénoms ont été changés, par crainte des représailles du lutin.