Que faire si le Rassemblement National arrive au pouvoir ? La question taraude nombre de fonctionnaires français. À Paris, des cabinets de recrutement spécialisés racontent être assaillis de demandes de hauts fonctionnaires cherchant dans l’urgence une reconversion dans la privé, au cas où… Tout cela se fait dans l’ombre, devoir de réserve oblige. Mais l’un d’entre eux a décidé de s’exprimer publiquement. Conseiller culturel de l’Ambassade de France aux États-Unis, et directeur de la Villa Albertine à New York, en poste depuis février, Mohamed Bouabdallah rompt son devoir de réserve, avec fracas, en publiant une tribune signée de son nom dans Le Monde.
Le texte, titré « Je vis comme une grande souffrance le fait que la loyauté des binationaux puisse être ainsi questionnée », détaille pourquoi il a décidé de mettre de côté l’obligation de réserve du fonctionnaire pour exprimer son opposition de citoyen, en des termes peu amènes. « Pour ceux qui en doutaient encore, les déclarations de Jordan Bardella, pour qui les « postes sensibles » seraient interdits aux binationaux, confirment ce que l’on savait déjà : le RN s’inscrit dans la droite ligne du régime raciste de Vichy, cet « État dit “français” » que le général de Gaulle, l’honneur de la France, déclara nul et non avenu. »
Le diplomate (qui avait été nommé ambassadeur au Burkin Faso l’an dernier avant que la junte au pouvoir ne refuse sa nomination) esquisse même ce qui sera d’après lui la méthode employée par l’éventuel futur gouvernement Rassemblement National : « Ce sera sans doute une version très XXIe siècle : pas par une loi ou un décret, qui pourraient être censurés, mais par le biais, hors contrôle du juge, des habilitations au secret et des nominations à la discrétion du gouvernement. Il est tellement simple pour un pouvoir organisé et méthodique de freiner des carrières, d’écarter des gêneurs et de cultiver le soupçon : « Votre cousin est imam ? C’est embêtant. »
Fils de deux parents immigrés algériens, Mohamed Bouabdallah avait raconté à French Morning son parcours de pur produit de la méritocratie républicaine : des petits boulots pour payer ses études à Math Sup, Dauphine, Sciences Po et finalement l’ENA. Binational lui-même, puisqu’il a hérité de la nationalité algérienne de ses parents, il ajoute dans sa tribune du Monde vivre « comme une grande souffrance le fait que notre loyauté puisse être ainsi questionnée. Et je vis tout aussi mal, si ce n’est plus, qu’il n’y ait pas de réaction collective face au retour de l’ignoble et qu’on en soit à se demander si le programme du RN est économiquement viable ou pas. Peu importe la liberté, du moment qu’il y a la richesse ».
Tout en appelant à faire barrage au Rassemblement National (« y compris en votant pour le Nouveau Front populaire »), il annonce aussi ce qu’il fera « si un tel malheur doit arriver » : « je ne les laisserai pas me prendre. Je démissionnerai. Entre bourreau et résistant, j’ai choisi. »
Lire la tribune dans Le Monde.