Les derniers jours ont été durs pour la finance mondiale. Dégradation de la note américaine par Standard & Poor’s, volatilité des bourses, l’avenir de l’euro en question… Le Francais Sébastien Laye est le fondateur de Laye Holdings, une firme de conseil en fusions-acquisitions et private equity basée à New York. Pour nous, il decortique la situation actuelle.
French Morning: Sommes-nous en train de vivre une nouvelle crise ?
Sébastien Laye: Ce n’est pas une nouvelle crise, c’est une variation de la crise commencée en 2008. La croissance est atone et la dégradation de la note des États-Unis n’a été qu’un élément déclencheur. Il y a un excès de crédit dans le système mondial, aussi bien pour les banques que les ménages. Hyman Philip Minsky (économiste, ndlr) affirme qu’ à la suite d’une crise de crédit, il faut un désendettement massif et rapide. Nous n’avons pas eu cette période car les États sont massivement intervenus.
Le plan de sauvetage massif de la dette a évité cette restructuration drastique et le problème a donc été déplacé de la sphère privée à la sphère publique. En 2008, le déficit s’élevait à 8.000 milliards aux Etats-Unis, il est aujourd’hui de l’ordre de 14.300 milliards. Cette explosion du déficit est due au coût des plans de sauvetage et au ralentissement de la croissance.
On s’attarde davantage sur les symptômes et pas assez sur le mal profond. Au risque de paraître un peu sadique, je pense que l’on n’a pas assez souffert en 2008 car les Etats sont intervenus pour sauver les acteurs du système financier. La seule alternative aujourd’hui est d’avoir une nouvelle récession ou une économie molle pendant 10 ans.
FM: Pourquoi le Debt Deal américain n’a pas permis de calmer les marchés ?
SL: Le Debt Deal est venu trop tard, il n’a stabilisé les marchés que quelques jours et a mis en lumière trop de dissensions politiques. Cela a d’ailleurs été une des motivations de Standard & Poor’s pour abaisser la note : le Debt Deal a mis en avant l’inanité des gouvernements et leur incapacité à assurer une situation stable. Il faut que les gouvernements soient désormais pro-actifs et qu’ils aient six mois d’avance sur les marchés financiers
En soi, cette dégradation n’a eu aucun impact. Comme la crise est générale, les investisseurs se sont paradoxalement rués sur les bons du trésor. Ils sont plus inquiets par la situation mondiale et la dette américaine reste encore leur flight to safety (refuge, ndlr).
FM: La crise vient-elle des États-Unis ou d’Europe ? Quelles vont être les conséquences sur le quotidien des citoyens ?
SL: La crise vient des États-Unis car c’est une variation de celle de 2008. Cependant, les États-Unis occupent une place plus importante sur l’échiquier mondial et disposent de plus de moyens, comme la possibilité de faire baisser les taux d’intérêts du remboursement de la dette par exemple. En revanche, les Français sont dépendants de l’État-Providence et comme une restriction publique va être nécessaire, ils vont en pâtir. Le problème de la dette française s’explique à 25% par la crise financière et à 75% par la lâcheté des hommes politiques qui n’ont pas osé mettre en place des plans de rigueur au cours des vingt dernières années.
Par ailleurs, les entreprises ne vont pas subir la même chose qu’en 2008. Ce sont les ménages qui vont beaucoup plus en souffrir cette fois-ci. Il est tout à fait possible qu’un double dip recession arrive dans l’année.
L’autre impact de la crise, c’est l’enjeu politique. Elle va être un élément déterminant des prochaines élections et surtout aux États-Unis : cela va être la première fois que des hommes politiques vont devoir prôner des mesures de rigueur.
FM: Quels indicateurs faut-il regarder pour connaître l’état de la situation financière ?
SL: Il ne faut surtout pas regarder l’indicateur boursier car il y a trop de volatilité. Les indicateurs fondamentaux sont l’emploi et l’inflation. Par exemple, on pouvait voir que le taux de chômage ne diminuait pas aux États-Unis malgré l’injection massive de l’état.
FM: Où peut-on investir aujourd’hui? Quelles sont les valeurs sûres ?
SL: Aux États-Unis, les Blue Chips restent une valeur sûre. Ce sont de belles sociétés avec de beaux modèles de croissance mais qui sont sous-valorisés par la situation actuelle, notamment dans le secteur high tech.
FM: Quelle est la part d’économie réelle et de spéculation dans les fluctuations financières ?
SL: La spéculation a bon dos. En général, les marchés baissent tout simplement parce que les gens prennent peur et vendent. La spéculation est 10% du phénomène.
FM: Pourquoi S&P est la seule agence de notation à avoir abaissé la note des Etats-Unis ?
SL: Les agences de notation comme S&P essaient de restaurer leur crédibilité car en 2006-2007, elles ne se sont pas réveillées assez tôt en abaissant la note des subprimes. Cette fois-ci, c’est une injonction politique. Elles sont sorties de leur rôle en faisant du qualitatif car les États-Unis ne mettaient pas en place la stabilité politique nécessaire.
FM: Que va t-il se passer maintenant ?
SL:Jusqu’aux élections, aucun plan de rigueur ne sera mis en place. Nous allons avoir beaucoup de volatilité dans l’année. Il faut une nouvelle génération de dirigeants pour s’atteler à l’assainissement des finances publiques.