Si la baie de San Francisco réserve bien des surprises, il en est une qui vaut son pesant d’or. Tout droit sorti d’un vieux western, le village de Port Costa, au nord de l’East Bay, offre une excursion dominicale exquise à un saut de puce de la capitale des techies. Au programme de la visite de cette boomtown miniature des années 1880 en apparence assoupie : un bar-entrepôt extraordinaire, des ours empaillés, une adresse farm-to-table, quelques « courants d’air » et une ancienne pension victorienne, objet de tous les fantasmes…
Pour accéder à cette mystérieuse bourgade figée dans le temps, inscrite au palmarès des villes les plus hantées du pays, il vous faudra quitter l’Interstate 80, longer la « Sugar Town » de Crockett, puis serpenter à travers les collines dorées du comté de Contra Costa jusqu’à destination. Arrivée à Port Costa, changement de décor… autre époque. Baigné par les eaux du détroit de Carquinez, ce village fantôme aux allures de cul-de-sac reprend vie et s’anime tous les week-ends avec le chassé-croisé des habitués et des curieux venus explorer ce lieu hors du commun. Pas de quoi chambouler le quotidien paisible des 242 résidents et autres âmes errantes de ce hameau d’un autre monde.
Resté dans son jus, il flotte à Port Costa un étourdissant sentiment d’étrangeté et d’émerveillement. Et ce ne sont pas les bâtisses victoriennes, défiant les lois de la gravité et du temps, qui viendront contredire cette impression. Rescapées des incendies et des tremblements de terre, ces façades décrépites témoignent des heures de gloire de cet ancien débarcadère du Central Pacific Railroad, qui fut autrefois l’un des ports céréaliers les plus fréquentés du pays. Aujourd’hui, devant cette belle endormie, on peine à croire que la sulfureuse Port Costa, à son apogée, collectionnait des dizaines de saloons, d’hôtels et de maisons closes face au front de mer.
Parmi les vestiges de cette époque se trouve le Warehouse Café. Ancien grenier à grains, cet incroyable entrepôt converti en bar en 1999 est devenu le point de ralliement des locaux, des randonneurs et des bikers de la région. Savant bric-à-brac, cette adresse insolite prise d’assaut le week-end réunit sous un même toit : deux ours empaillés, un billard, une brocante et une sélection vertigineuse de bières. On se régale ici de délicieux burgers et de côtes de bœuf à prix doux.
Dans une même veine, le marché aux puces mensuel et les boutiques Port Costa Mercantile et Theater of Dreams cultivent le culte de l’excentricité et des antiquités. Irrésistible cabinet de curiosités, cette dernière, « ouverte par chance ou sur rendez-vous », met en scène les créations papier vintage de l’artiste Wendy Addison.
Autre lieu, autre ambiance avec la table du Bull Valley Roadhouse. Régulièrement classée par le San Francisco Chronicle parmi les 100 meilleurs restaurants de la baie, cette adresse farm-to-table baptisée de l’ancien nom de Port Costa nous interpelle par son élégante devanture et ce curieux taureau doré suspendu au-dessus de l’entrée.
Mobilier d’époque, portraits sépia, chandeliers, boiseries et miroirs anciens… chaque détail nous téléporte en 1897, date de construction de l’établissement originel. Les cocktails, tous excellents, incluent des grands classiques d’avant la Prohibition, tandis que la partition culinaire multiplie les clins d’œil au passé, comme cette côte de porc fumée garnie d’un citron vert pour prévenir du scorbut.
Un peu plus loin, la silhouette jaune pâle écaillée du Burlington Hotel intimide autant qu’elle entretient la légende de Port Costa. Récemment fermé, cet ancien bordel transformé en hôtel à l’aube des années 1960 serait hanté par les fantômes de quelques pensionnaires et de son ancien propriétaire, un dénommé Bill Rich qui, selon les dires, errerait régulièrement dans la Grand-Rue ou au comptoir du Warehouse Café. Sommiers grinçants, apparitions, souffles et bruits mystérieux… Peut-on imaginer meilleur scénario d’épouvante ? On rapporte même qu’une femme coiffée d’un chignon et vêtue d’une longue robe bleue traverserait les portes fermées du village… frissons garantis !