Ce mardi 22 avril 2025, la journée de la Terre (Earth Day) fêtera ses 55 ans, avec son lot d’événements, panels et discussions animées sur l’avenir de notre planète. Pour les entrepreneurs français qui évoluent dans le secteur de la sustainability à New York, cette journée aura une saveur particulière à l’approche des 100 jours de la deuxième administration Trump, qui est à nouveau sortie des accords de Paris et a relégué les enjeux climatiques au dernier plan. Si certains sont pour le moment protégés dans leur activité quotidienne – en attendant le couperet des droits de douane – ou voient même des opportunités dans ce contexte, d’autres ressentent déjà le poids des incertitudes sur leurs ventes. Malgré une actualité anxiogène et un moral en berne, ils doivent garder le cap, persuadés malgré tout que la sustainability est un mouvement de fond qui va durer.
Pour les francophones qui se sont investis personnellement dans des projets durables, en tant que bénévoles ou volontaires, la période est particulièrement difficile. « Le contexte est contrasté : d’un côté les business de l’économie verte se battent et rappellent leurs engagements à des clients et prospects sensibles à leurs valeurs, de l’autre côté, il y a un phénomène d’épuisement dans le contexte actuel. Les personnes habituées au bénévolat essaient de ménager leur temps et sont parfois moins disponibles », analyse Alexis Milcent, consultant en stratégie et transformation, et co-animateur de la Fresque du Climat aux États-Unis. Parmi ses clients, les grandes entreprises restent engagées en matière environnementale mais cela se passe davantage sous le radar, les personnes et équipes cumulent ces rôles avec leurs titres officiels moins clivants, juge-t-il.
Au plan culturel, les Américains restent sensibles à l’argument écologique si cela a un sens business: « Pour les Américains, il faut que cette démarche ait un aspect positif et non seulement impliquer des sacrifices, renoncer à quelque chose. Ils peuvent aussi percevoir cet engagement comme une façon d’améliorer leur marque employeur », ajoute Alexis Milcent.
C’est ce que compte faire Closiist, la marketplace de produits écoresponsables et locaux cofondée par Julie Thibault, qui compte bien miser sur le mouvement America First. « Dans le contexte actuel, nous bénéficions du fait que nos produits sont locaux et Made in the USA », explique Pelin Gurer, récemment devenue associée de Clossist. De leur côté, les voyants sont au vert. « Nous avons réussi à nous faire une place, nos ventes sont en croissance car les gens ont aussi envie de se positionner et de faire attention à ce qu’ils achètent ».
La plateforme, qui commercialise des produits de niche comme la mercerie, les produits pour le corps ou pour les animaux, a vu ses ventes bondir de 500% l’an passé, référence plus de 2.000 produits et ambitionne de monter à plus de 5.000 d’ici peu. Exemple marquant de l’activisme de ses clients : une marque de thé bio canadienne, dont les ventes ont bondi juste après l’annonce des tarifs envers le voisin du Nord. D’ici à y voir une action de solidarité en réaction à l’actualité, il n’y a qu’un pas…
Même son de cloche optimiste de la part de Larasati Vitoux, fondatrice de Maison Jar, épicerie en vrac localisée à Greenpoint. « Nous avons fait une très belle année 2024, où les ventes ont bondi de 50%. Nous bénéficions de notre offre bio, mais aussi d’être un one-stop shop de produits alimentaires et de la maison, et enfin nos clients apprécient d’acheter les quantités qu’ils souhaitent », explique-t-elle. Située dans un emplacement idéal dans un quartier bobo et familial, elle n’a pas relevé de changement majeur de ses ventes depuis la nouvelle administration, mais surveille de près les prochaines annonces de droits de douane. « Nous offrons beaucoup de produits locaux. L’alimentaire local devait être relativement protégé sauf des exceptions comme le chocolat qui a déjà augmenté de 50%, ou encore les fruits secs que nous n’avons pas d’autres choix que d’importer ». Larasati Vitoux a prévu de se joindre à des événements privés pour Earth Day, avec l’université Pratt, Netflix ou encore The Botanist.
Certains voient aussi les opportunités que pourrait présenter une mise en place de barrières douanières prohibitives. François Servranckx, qui a fondé Green Gooding il y a 2 ans et demi, est lui aussi un bon exemple d’ambassadeur de l’économie circulaire. « Les tarifs ne sont pas forcément une mauvaise chose, cela pourrait rendre plus avantageux la réparation ou la location, plutôt que l’achat d’objets », analyse-t-il. La plateforme lancée en 2022 propose la location d’appareils domestiques comme des équipements de nettoyage ou des machines à raclette, et achète même 20 % de son stock en seconde main. Il a déjà enregistré plus de 750 locations et 600 clients, et a évité la production de 48 tonnes de CO2 selon ses calculs. Il observe d’un œil attentif l’évolution de la situation locale à New York. « C’est en réalité la régulation par État, locale, qui sera essentielle pour l’avenir de la circularité ».
Allier business, inclusion et politique, c’est monnaie courant pour Guillaume Charvon, fondateur de Walter – service qui permet à des jeunes en grande exclusion du quartier de Brownsville de trouver un emploi en reconditionnant du matériel informatique et des déchets de bureaux. « Nos clients nous choisissent pour ces valeurs d’inclusion, c’est très américain de s’engager en politique par sa consommation », explique-t-il. Si le contexte actuel crée certes de l’incertitude, il est aussi une opportunité pour mobiliser les entreprises. Dans son entrepôt de 750m2, il emploie une dizaine de jeunes et compte Beiersdorf, NYU, le Guggenheim, Goodwill ou encore Central Park Conservancy comme clients. En outre, « les grands groupes européens ont des obligations de due diligence sur les droits humains et la durabilité, ce que nous offrons ».
En attendant que le couperet final tombe, il faut affronter les vents contraires de l’incertitude. Grain de Sail, qui veut révolutionner le transport maritime avec ses bateaux cargos à voile, en sait quelque chose. « C’est une période où nos clients sont attentistes, mais nous gardons la tête froide. Nous nous focalisons sur l’optimisation du taux de chargement de Grain de Sail 2 pour financer un troisième navire, un porte containers encore plus ambitieux », explique Tanguy Passini, chargé des opérations US de Grain de Sail.
Après avoir commencé en transportant ses propres matières premières de café et chocolat entre les deux continents, son deuxième navire Grain de Sail 2 peut transporter jusqu’à 300 palettes de marchandises pour des entreprises du luxe, la cosmétique et le vin. À bord, il génère sa propre énergie avec des panneaux solaires et des hydrogénérateurs. Continuer de développer sa propre marque de chocolat bio aux États-Unis et remplir ses bateaux de marchandises constitue un véritable défi dans un environnement plus incertain que jamais.