Il y a deux chiffres à connaître sur Philippe Dauman -deux records: le patron de Viacom est le CEO le mieux payé des Etats-Unis (85 millions de dollars en 2010); à 13 ans il enregistrait le score parfait au SAT, le fameux test utilisé pour l’admission dans les universités américaines.
Sur le premier record, le PDG n’a pas grand chose à dire («ce sont les actionnaires qui décident» est sa réponse standard). En revanche, il est plus disert sur sa brillante scolarité au Lycée français, où il a rapidement eu deux ans d’avance. «J’étais terrifié, se souvient-il en recevant French Morning dans son bureau d’angle au 52ème étage du siège de Viacom, sur Times Square. Tous les autres enfants avaient deux ans de plus que moi, c’était un choc». Il va vite surmonter le traumatisme, grâce notamment à une jeune fille qui débarque dans sa classe. «Elle était aussi très jeune. Fille d’un prix Nobel, elle était extrêmement brillante». Quarante ans plus tard, il se souvient de son nom -Jacqueline Sobotka. Grâce à elle, et quelques autres, dit-il, «je ne me prenais pas pour un génie, je pensais que tout le monde était comme ça». (Mise à Jour: Jacqueline Bonnard-Sobotka, que nous n’avions pas réussi à joindre avant publication, nous précise que si son père, le chimiste Harry Sobotka, a remporté de nombreuses distinctions, il n’a en revanche pas eu le prix Nobel).
A l’époque, s’il se sent différent, c’est pour une tout autre raison: il est fils d’immigrés. Ses parents se sont connus aux Etats-Unis, mais tous deux viennent de France. Son père, Henri Dauman, est un célèbre photographe, collaborateur de Life Magazine; sa mère, avocate, est venue pour apprendre l’anglais. Ils s’installent à New York où naît Philippe. «Tous les ans, mes parents disaient qu’on allait retourner en France, mais nous sommes restés». La famille Dauman parle français à la maison, les amis du couple sont tous des Français de New York et c’est, assure-t-il, en regardant la télévision que le petit Philippe apprend l’anglais. Depuis qu’il est patron d’un empire de la télé et du cinéma, il s’est certes beaucoup servi de l’anecdote («la télé est bonne pour vos enfants»: effet garanti sur toute audience) mais elle est, assure-t-il, 100% véridique.
Combat contre Google et YouTube
Quelque part autour de l’adolescence, «j’ai commencé à penser en anglais et plus en français», dit-il. Aujourd’hui, son français est teinté d’accent américain, mais il est convaincu que son éducation «bi-culturelle» a joué un rôle crucial dans sa carrière. Elle lui permet en tout cas de citer sans complexe la France en exemple sur un domaine, devenu son cheval de bataille: la protection de la propriété intellectuelle sur Internet. Le PDG de Viacom est le porte-parole le plus actif d’une campagne engagée par l’industrie du cinéma et de la télévision aux Etats-Unis en faveur d’une loi inspirée de l’Hadopi française, prévoyant notamment des avertissements aux fraudeurs. Imitant la tactique employée en France, les lobbyistes ont enrôlé artistes et auteurs. «Notre but est de montrer qu’il n’y a absolument aucune contradiction entre innovation et propriété intellectuelle. Au contraire, chaque film crée des milliers d’emplois et la fraude menace ces emplois!»
Cette croisade, Philippe Dauman l’a d’abord menée contre Google et sa filiale YouTube, peu de temps après son arrivée à la tête de Viacom, en poursuivant le géant de l’internet, coupable de laisser ses utilisateurs diffuser des programmes produits par ses chaînes (notamment le Daily Show de Jon Stewart, sur Comedy Central). Viacom a perdu en première instance et l’affaire est en ce moment même devant la cour d’appel, mais l’épisode a assis la réputation de Dauman à Hollywood, où son apparence plutôt austère lui avait d’abord valu un accueil réservé. «Ce qui fascine tout le monde dans le milieu, dit un bon connaisseur du secteur, c’est qu’il ait pu rester aussi longtemps aux côtés de Sumner Redstone, le milliardaire qui contrôle à la fois CBS et Viacom”.
A 88 ans, Redstone a usé bon nombre d’héritiers désignés, mais Philippe Dauman, lui, résiste. Il est à la tête de Viacom depuis plus de cinq ans. «Nous avons un lien intellectuel très fort», assure-t-il. Leur complicité remonte à 1986, lorsque Dauman, alors avocat, conseille Redstone dans l’OPA hostile qui allait lui permettre de prendre le contrôle de Viacom. «Il m’a tout de suite proposé de travailler avec lui en 1987, se souvient Dauman. J’ai refusé, parce que j’allais passer «partner» dans le cabinet d’avocats Shearman & Sterling où je travaillais». Mais en 1992, Sumner Redstone fait une nouvelle offre qu’il accepte cette fois. Adoubé par le patriarche qui l’appelle «mon meilleur ami pour toujours», Dauman est devenu PDG en 2006 et est crédité d’excellents résultats financiers -qui lui valent sa rémunération record.
“Les Aventures de Tintin”
Sous sa houlette, MTV, ex fleuron du groupe, a renoué avec le succès en passant des clips vidéos aux reality shows. La branche cinéma de Viacom, Paramount, a elle amélioré sa rentabilité, malgré une baisse marquée du nombre d’entrée, grâce notamment à la multiplication des «franchises» (Transformers, Star Trek ou encore Mission : Impossible), très lucratives. Et c’est sous sa houlette aussi que le studio s’est engagé comme co-producteur dans «Les Aventures de Tintin en 3D», de Steven Spielberg, qui sort en France ce mercredi. S’il assure laisser d’ordinaire aux patrons du studio le choix de sélectionner les films produits, Philippe Dauman reconnaît que cette fois, «avoir quelqu’un de ma culture, qui avait lu Tintin enfant et connait l’impact du personnage en Europe a sans doute aidé à sauter le pas et à produire le film».
L’opération reste pourtant un pari considérable aux Etats-Unis. Pour la première fois de l’histoire de la firme, le film sortira d’abord à l’étranger avant d’attaquer le marché américain -dans deux mois seulement. L’objectif, explique le PDG de Viacom, «est de surfer sur le succès espéré en Europe et créer le buzz ici où, il faut bien le reconnaître, Tintin est un inconnu!». Succès ou échec, les actionnaires de Viacom sauront que la cause sera à chercher du côté des lectures du jeune Dauman quelque part dans l’Upper East Side…
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Le gala de la French American Foundation organisé ce mardi 24 octobre au Capitale, célèbre Philippe Dauman et l’écrivain David McCullough.
(Crédit Photo de Une: ADMEDIA/SIPA)