Un samedi soir sur Netflix…Un long chemin de croix s’annonce lorsque l’on cherche une bonne série française à regarder sur la version américaine du site de streaming, surtout si l’on a déjà visionné toutes les saisons de « Dix pour cent », « H » ou « Family business ». Heureusement, depuis le 18 mars dernier, on peut visionner « Drôle » (« Standing Up » en anglais), une série créée pour Netflix et sortie simultanément en France et aux États-Unis.
« Drôle » met en scène quatre jeunes comédiens, Bling, Nezir, Apolline et Aïssatou, qui essaient de percer en faisant du stand up au Drôle, un comedy club du 11e arrondissement de Paris. Créée par Fanny Herrero, à qui l’on doit les trois premières saisons de « Dix pour cent », la série montre que l’humour est un puissant ciment social, et que, derrière les rires, se cachent beaucoup de persévérance, de galères et de chance.
Même si les protagonistes font très United Colors of Benetton, avec un casting qui rassemble un Asiatique, une Africaine, un Algérien et une jeune fille de bonne famille à la peau diaphane, on oublie vite le côté un peu cliché pour s’attacher à ces personnages, et partager, en six épisodes, leur quotidien, leurs doutes, leurs espoirs, et leur passion commune du stand up.
Maniant un ton vif et léger qui reflète bien l’esprit du stand up, « Drôle » ne manque toutefois pas de profondeur. Chaque personnage doit faire face à des choix de vie et de carrière, et on ne peut s’empêcher de partager leurs émotions en suivant leur évolution. Bling est un comédien qui a connu sa petite heure de gloire, et qui glisse inexorablement sur la pente des has been. Spectacles annulés, mépris de sa famille, Bling veut se remettre en selle, à coup de rails de coke, et en embauchant Nezir comme nègre pour lui écrire des sketches.
Aïssatou voit sa notoriété s’envoler suite à un sketch sur le plaisir prostatique qui devient viral sur YouTube, mais sa vie de famille pourra-t-t-elle y résister ? Son mari se passerait bien d’être la risée de ceux qui ont vu le sketch sur la prostate, et Aïssatou hésite entre une nouvelle grossesse ou surfer sur son succès tout neuf. Quant à Nezir, quand il ne travaille pas ses sketches sur son vélo de livraison de plats à emporter, il doit s’occuper de son père en invalidité avec qui il vit dans une banlieue aussi banale que déprimante. Apolline, étudiante en histoire de l’art issue de la bourgeoisie parisienne, veut se lancer dans le stand up, alors son avenir de curatrice de musée est déjà tout tracé.
Malgré leurs histoires et parcours différents, tous se retrouvent au Drôle et s’inspirent de ce quotidien sur scène. Au delà de l’histoire de chacun, on se laisse emporter par la vivacité du ton, et les sketchs qui prennent forme sous nos yeux. Le langage sur scène est souvent cru sans toutefois tomber dans une vulgarité forcée. On rit comme les spectateurs qui sont dans la salle, puis on plonge dans les coulisses qui révèlent la réalité des efforts nécessaires pour provoquer ce rire, le temps passé à écrire chaque ligne, les blagues qui marchent et celles qui font des flops. À ceux qui pensent que le stand up est facile, et nécessite seulement un solide à-propos ou une bonne répartie, Nezir apporte un démenti lorsqu’il estime à 300 fois le nombre nécessaire de répétitions pour maîtriser un sketch.
Tous les personnages font preuve de courage et de persévérance, et donne une image de la jeunesse d’aujourd’hui qui semble assez juste : volontaire, décomplexée, et courageuse dans les choix qu’elle fait. Même Bling, qui saborde ce qui lui restait de notoriété sur scène en insultant son public, ne s’avoue pas battu et tente par tous les moyens de se relancer. Apolline persiste dans la comédie, au détriment de ses études, avançant à contre-courant de la pression d’une mère maniaco-dépressive et d’un milieu social qui n’a que mépris pour ce genre de profession.
Les acteurs qui incarnent Nezir, Aïssatou, Apolline et Bling sont tous excellents, et sont servis par des seconds rôles qui les mettent parfaitement en valeur (le père de Nezir, la mère d’Apolline, la soeur de Bling, le mari d’Aïssatou). Younès Boucif (Nezir), Mariama Gueye (Aïssatou), Jean Siuen (Bling) et Elsa Guedj (Apolline) ne sont pas issus du stand up, mais sont tout à fait crédibles. Younès Boucif est connu dans le milieu du hip hop français sous le pseudo Younès, tandis que les trois autres acteurs ont fait leurs armes au Cours Florent. Si on a déjà pu les voir dans quelques films et séries, « Drôle » révèle vraiment leur talent et devait les propulser sur le devant de la nouvelle scène française.