« Les Etats-Unis, c’était dingue », s’émerveille Pascal Rénéric, qui incarnait Monsieur Jourdain dans « Le Bourgeois Gentilhomme ».
La pièce, dirigée par Denis Podalydès, fait partie des – rares – oeuvres théâtrales françaises à avoir franchi l’Atlantique – c’était à l’été 2016 à New York. Avec 35 personnes et une centaine de remplaçants, elle fait partie des grosses productions à avoir quitté la France. La plupart des oeuvres françaises qui s’exportent aux Etats-Unis ou sont développées sur place sont, en effet, bien plus modestes. Contre deux ou trois pièces directement importées de France qui circulent aux Etats-Unis avec sur-titrage comme “Le Bourgeois Gentilhomme”, entre 15 et 20 projets de théâtre français (traduits en anglais ou présentés en langue originale) sont développés aux Etats-Unis (dans les établissements scolaires, par des troupes américaines…).
Ces exportateurs du théâtre ne sont pas complètement livrés à eux-mêmes: les Services culturels de l’ambassade de France ont accompagné et aidé à financer huit créations théâtrales françaises depuis 2015. Certaines partent en tournée nationale après un premier passage à New York, l’épicentre du théâtre américain.
Ce parcours, qui peut durer plus de deux ans et coûte entre 50.000 et 100.000 dollars entre le salaire des équipes, les allers-retours du metteur en scène, les décors et la communication, commence par la traduction du texte, explique Rima Abdul Malak, à la tête du département des échanges artistiques aux Services culturels. « Aux Etats-Unis, il y a très peu de projets présentés en langue étrangère. Par exemple, il n’y a que 3% des livres traduits qui sont lus par les Américains. Ils lisent la littérature américaine en priorité. En théâtre, c’est encore plus flagrant. »
Comment convertir un texte français et lui donner une teinte locale ? « C’est beaucoup de compromis. Parfois, le changement d’un mot a nécessité 12 e-mails, témoigne-t-elle. Par exemple, le titre de la pièce de David Lescot “Mon Fric” [encore à l’étape de projet, ndlr] est très dur à traduire. On a pensé à “Dough” mais ça sonne un petit peu ringard, or “mon fric” en français, c’est très familier. »
Il n’y a pas que le titre qui peut poser problème. Nicholas Elliott a traduit la pièce « Oh Boy! », mise en scène par Olivier Letellier et présentée en janvier 2017 à New York. « Il y avait par exemple des choses du domaine du “politically correct” auxquelles on est peut-être un peu moins sensibles en France (…) Le personnage de “Oh Boy!” est homosexuel et la façon dont l’homosexualité est représentée par moments dans la pièce a pu brusquer certains membres de l’équipe du New Victory [le théâtre qui a soutenu la pièce, ndlr], ce qui a conduit à des discussions très fructueuses », constate le traducteur.
Rencontre des cultures
Une fois la pièce traduite, la rencontre entre le metteur en scène français et les acteurs américains peut aussi donner lieu à quelques chocs culturels. « J’ai l’impression qu’aux Etats-Unis, les metteurs en scène sont très stricts dans le travail. Ils se détendent après », constate Dee Besnael, actrice américano-tchadienne, qui a joué dans la pièce « Dans la Solitude des Champs de Cotons » de Bernard-Marie Koltès, adaptée en anglais et mise en scène par Roland Auzet en octobre. « Avec les metteurs en scène français, c’est l’inverse, on s’amuse pendant les répétitions et puis quand c’est l’heure de jouer, là c’est plus sérieux. »
Roxane Revon et Laura Townsend, qui co-dirigent L’Atelier Théâtre, des cours destinés à un public francophone à New York, épluchent les différences culturelles. « Ici, c’est impensable qu’un acteur ne connaisse pas son texte. On peut se faire virer », constate Laura Townsend, enseignante et actrice formée à Columbia.
« Il y aussi le contrat Equity [un statut qui protège les artistes aux Etats-Unis, ndlr] qui impose des pauses toutes les 55 minutes. Quand on a monté “Les Bonnes” de Jean Genet à New York, ça paraissait fou pour les actrices françaises”, se souvient-elle.
“Les acteurs américains sont extrêmement préparés, très pros. En fait, c’est “time and money” », conclut Roxane Revon, avant de quitter l’interview pour « aller apprendre à mes élèves américains à prononcer le mot ‘Sganarelle’. »
Depuis 2015, les équipes des services culturels de l’ambassade ont intensifié leurs programmes d’accompagnement du théâtre français. De quoi donner envie aux dramaturges de sauter le pas, de la langue de Molière à celle de Tennessee Williams.