Si vous vous êtes déjà demandé où Mel Brooks a pu trouver l’inspiration pour son film « Les Producteurs », ne cherchez plus. Regardez du côté de la pièce hillarante de Jules Romains « Donogoo », actuellement au Mint Theatre, à New York.
Cette comédie jubilatoire, rarement mise en scène, saluée en 1930 dans le Figaro comme un « immense triomphe » (et dont le succès sauva accessoirement le Théâtre Pigalle de la fermeture), repousse les limites de l’absurdité. Plus encore que ne l’a fait Mr Brooks avec sa production.
Le dramaturge français du début du 20ème siècle, qui, à la fin des années 1930 était parmi les artistes les plus prolifiques, verse joyeusement dans cette farce surréaliste, finissant par devenir réelle, en faisant reposer son histoire sur la force la plus immuable du monde : l’insatiable avidité de l’homme.
Tout le monde rêve tellement de créer une ville de toute pièce qu’elle en devient réalité. Cette non entité, appelée Donogoo, prend vie lorsqu’un professeur de géographie, Le Trouhadec, y fait référence dans sa plus grande oeuvre. Lorsqu’il tente d’obtenir son ticket d’entrée pour la très vénérable Académie des Sciences, on découvre que Donogoo n’est en fait que le fruit de l’imagination de Trouhadec. Mais comment prouver son existence? C’est la question à laquelle tente de répondre cette “screwball comedy” (comédie loufoque) empreinte d’une folie toute “Marx Brotheresque”.
En cours de route, l’histoire nous amène sur les ponts parisiens, dans les cafés, les bureaux, les métros et les gares, les bateaux à vapeur, de Paris à Marseille, en passant par Saigon, San Francisco, Rio de Janeiro, et oui, aussi par Donogoo. Même avant que les lumières s’éteignent pour le premier des 23 tableaux, on s’interroge en voyant l’itinéraire surligné sur l’affiche : comment le modeste théâtre de 100 places peut s’en tirer avec autant de voyages?
Avec le regard inspiré de Gus Kaikkonen (également traducteur de la pièce), le Mint a peut-être à l’affiche l’une des productions les plus originales du moment. Les destinations sont projetées sur différentes surfaces de la scène, des murs au plafond, et bougent de façon aussi homogène que des images animées.
C’est même encore meilleur qu’un film lorsque ces images en deux dimensions, parfois de dessins animés (de globes terrestres, de machine à espresso, de cabines téléphoniques et d’écran de cinéma) deviennent soudainement animées au contact d’un acteur.
Les personnages, au nombre de 50 dans la pièce, sont joués avec dextérité par une troupe composée de treize comédiens. Ross Bickell, qui reprend le rôle de Margajat, banquier au parlé calme, sans nous rappeler un certain Bernard Madoff, est le plus convaincant. Le personnage est le premier à renifler l’embrouille, avant même que l’histoire ne soit complètement contée. Ross Bickell fait avancer l’histoire en donnant à cette arnaque toute la légitimité pour prendre son envol.
Le personnage principal, Lamendin, est joué par James Riordan avec presque autant de drôlerie qu’un Alan Rickman, mais pas tout à fait. Ses pleurnicheries occasionnelles sont de trop. Mais laissons cela de côté, tout comme la transformation abrupte qu’il opère entre un solitaire désabusé à un maître de cérémonie qui nous empêche d’y croire complètement. Peu importe, car cette production conserve le meilleur de la tradition des Screwball au Mint.