« La liberté ou la mort », c’est le choix auquel Verdi confronte Don Carlos, le héros de son plus ambitieux chef-d’œuvre. À l’ère de l’inquisition espagnole, c’est un choix entre soutenir l’Église qui contrôle l’État, et résister par la poursuite d’idéaux humanistes. C’est donc un opéra essentiellement politique et idéologique sous couvert d’une histoire d’amour vouée à l’échec.
La version de Don Carlos présentée cette saison au Metropolitan Opera est en français. C’est un détail important, car en dépit du fait que Verdi a composé l’œuvre dans notre langue pour l’Opéra de Paris en 1867, la vaste majorité des représentations à ce jour était en italien. « Don Carlo » redevient enfin « Don Carlos », pour notre plus grand plaisir.
Nous sommes en 1560. L’Espagne est en guerre contre la France. Don Carlos (Matthew Polenzani, tenor), fils du roi Philippe II d’Espagne, est promis à Elizabeth (Sonya Yoncheva, soprano), fille d’Henri IX. Ils s’aiment, mais leur union est anéantie par un traité de paix, dont une condition est le mariage d’Elizabeth à Philippe II (Eric Owens, baryton). Naissent alors les sentiments contradictoires de joie pour la paix du peuple, de sens du devoir politique et de désespoir amoureux. Don Carlos est un anti-héros sympathique : fils impuissant et indécis sous la houlette d’un père dictatorial, homme déchiré entre sa loyauté filiale et ses aspirations romantiques et humanistes.
Le piment de l’histoire est amené par trois autres protagonistes hauts en couleurs. Il y a Rodrigue, Marquis de Posa (Etienne Dupuis, Baryton), ami de Don Carlos et résistant qui ose plaider devant le Roi la cause du peuple opprimé de Flandre. Ensuite la charismatique Comtesse Eboli (Jamie Barton, mezzo-soprano) qui intrigue à la cour. Amoureuse éconduite de Don Carlos, elle cherche vengeance puis rédemption. Il y a enfin le Grand Inquisiteur (John Releya, baryton), qui semble porter l’intégralité de l’Église sur son dos nonagénaire. Édifiant de dogmatisme et terrifiant de pouvoir, il domine et manipule le roi.
La production est immense, au sens propre. Le nombre important de personnes sur scènes représentant tour à tour la cour, l’armée, l’Église ou le peuple donne immédiatement une envergure épique à la représentation. Les chœurs de plusieurs dizaines de chanteurs sont saisissants d’intensité. Moment fort de la première, l’un de ces chœurs a rendu hommage au peuple d’Ukraine en chantant l’hymne nationale en début de performance.
Outre la complexité du synopsis et l’envergure de la mise en scène, la langue était un défi à lui seul. « Dieu, toi qui as voulu mettre en notre âme l’amour et l’espoir, tu dois allumer en notre cœur le désir de liberté. » Au libretto composé en français par François Joseph Mery (1797-1867), le public a souvent préféré et obtenu une traduction italienne. Le directeur musical du Met, le Canadien Yannick Nézet-Séguin, s’est attaché à un long travail de réadaptation pour cette première historique, et pour notre plaisir francophile.
Le décor est intentionnellement claustrophobe. L’opéra se tient quasi-intégralement dans une large enceinte semi-circulaire de pierres, sorte de Colysée menaçant. Cette dernière, ainsi que des objets religieux XXL tels un bruleur d’encens ou un Christ sur la croix, évoquent efficacement la lourdeur et la sévérité de l’inquisition. Les costumes, camaïeux austères et quasi monochromes, sont aussi luxueux et délicats. Broderies, sequins, pierres, taffetas et fourrures en tons de gris : tout y est, sans outrance.
Dans la musique de Don Carlos, point de blockbuster reconnaissable du grand public, ou de concision dramatique propre aux œuvres plus tardives de Verdi. On trouve plutôt des compositions séduisantes qui se construisent et se fortifient au cours des cinq actes. Les actes IV et V sont ponctués de riches solos dont le plus remarquable est la méditation du roi Phillippe II. Dans son office à la lumière des bougies, il évoque son mariage sans amour et le fardeau de sa couronne. C’est sûrement l’une des créations les plus admirables du long répertoire de Verdi.
Indépendamment de la production musicale et scénique, le Don Carlos de Yannick Nézet-Séguin est un tour de force par les chanteurs protagonistes. Les six voix d’exception parviennent à tenir l’audience en haleine jusqu’à la dernière minute, fait non négligeable compte tenu de la durée de 4h34 de la représentation. En français dans le texte et enfin sur scène, le Met offre une fresque visuelle tant que musicale de médiation sur la nature humaine.
Don Carlos sera retransmis en direct et en HD dans de nombreux cinemas dans le monde le Samedi 26 Mars. Trouvez votre cinema en cliquant ici.