Reconnue de tous, première cheffe triplement étoilée aux Etats-Unis, Dominique Crenn n’est pas prête de se reposer sur ses lauriers, même amplement mérités. Pendant la crise de la Covid, elle a mis son talent culinaire à la portée de tous, en proposant des menus de son Atelier à emporter, et en transformant son Petit Crenn de Hayes Valley en épicerie vendant les produits de sa ferme située à Sonoma. C’est dans ce contexte tout particulier qu’elle vient de sortir sa première autobiographie, intitulée “Rebel Chef, in search of what matters”. “J’ai mis un an et demi à écrire ce livre. C’est une réflexion sur ma vie, pas un livre de chef, une sorte d’introduction à qui je suis et à ce que je veux faire dans le monde“, explique la cheffe étoilée.
L’autobiographie parcourt de façon chronologique de nombreux événements marquants de la vie de Dominique Crenn. Elle s’y livre de façon très entière, abordant sans fard sa famille, son parcours, souvent semé d’embûches, ses amours, ses doutes, sa consécration, et le cancer du sein qui la frappe en 2019. Le livre contient de nombreuses photos personnelles et souligne les rencontres qui ont jalonné et façonné son parcours. A commencer par ses parents, Allain et Louise Crenn, qui l’ont adoptée lorsqu’elle était bébé: “Grâce à eux, j’ai vécu une enfance de privilège, mais j’aurais pu être de l’autre côté. Je suis née à Versailles, mais mes origines sont diverses: à moitié européenne, à moitié du nord de l’Afrique, avec du sang berbère, une enfant du monde en somme.” Les étés passés en Bretagne à ramasser les pommes de terre dans la ferme de sa grand-mère, sont autant souvenirs empreints d’émotion. Profondément attachée aux racines familiales de sa famille adoptive, on découvre aussi en filigrane sa quête pour retracer ses origines biologiques.
Mue par une curiosité encouragée par son père, Dominique Crenn revendique l’étiquette de rebelle, ou d’anticonformiste, qui a fait sa légende: “Je suis contre le fait de suivre ce qu’on nous dit de faire sans le comprendre. Par exemple, je suis catholique, mais j’ai beaucoup de mal avec la religion. Même chose avec la politique. Je ne suis pas les normes, mais de façon non-violente“. A commencer par la cuisine: les écoles auxquelles elle postule après le bac lui font comprendre que pour être être chef, vaut mieux être un homme.
Si la France est engluée dans ces principes archaïques, Dominique Crenn poursuivra sa passion ailleurs : à 24 ans, elle atterrit à San Francisco. “Je savais que dans cette ville libérale, je pourrais vraiment devenir ce que je voulais être. Mais je n’étais pas dupe non plus : il y a beaucoup d’injustice ici, de racisme et de lois contre les femmes. Ce n’est pas la vie en rose.”
Après 18 mois passés entre différents petits boulots de serveuse, elle rencontre le chef Jeremiah Tower, formé par Alice Waters. Dominique Crenn lui déclare avec aplomb : “Je veux travailler pour vous. Je suis Française donc je sais déjà cuisiner”. Lui non plus n’a pas de formation culinaire, et avait usé de la mêne technique pour convaincre Alice Waters de l’embaucher, lui l’architecte diplômé d’Harvard, chez Panisse. Dominique Crenn sera formée par Tower à Stars, un des restaurants les plus réputés de San Francisco dans les années 90. Après un détour par Djakarta, puis Los Angeles, elle revient à San Francisco, où elle obtient sa première étoile Michelin chez Luce, en 2009. Cette même année, un accident, qui la laisse avec un tendon sectionné au genou, est l’élément déclencheur qui la pousse à entamer les démarches pour ouvrir son propre restaurant. Au lieu des trois mois de repos recommandés pour sa convalescence, son patron la force à revenir vite au travail, sous peine de perdre son salaire : “J’ai alors décidé de faire entendre ma voix, et celles des gens qui travaillent avec moi. On ne devrait pas être l’esclave de son patron ou d’une entreprise. On doit traiter les gens avec humanité. ”
Atelier Crenn ouvre en 2011, alors que Dominique Crenn a déjà 45 ans: “Quand j’ai commencé la restauration, j’avais une vingtaine d’années, je n’étais pas prête et je cherchais à comprendre qui j’étais.” Maintenant reconnue de ses pairs, à la tête de trois établissements, Dominique Crenn veut utiliser sa notoriété pour défendre les idées qui lui tiennent à coeur. A commencer par l’inégalité et la violence dans les cuisines: “Ça fait 30 ans que je me bats contre ça. J’en n’ai rien à faire des CV, ce qui m’importe, c’est de travailler avec des gens qui portent une humanité en eux. ” Inspirer les jeunes qui veulent poursuivre leurs rêves, servir de modèle, et suivre donner aux autres ce qu’elle a reçu, voila ce qui importe à Dominique Crenn en ce moment. “Le monde se réveille, et je veux faire partie de ce changement.“