Une nomination dans la catégorie “Best actress” : la Française Isabelle Huppert l’espérait, et avait lâché un optimiste “tout est possible” après les Golden Globes, lors d’une réception au consulat de France à LA. Mais pour décrocher la précieuse statuette, sa prestation dans “Elle” de Paul Verhoeven ne suffit pas.
“Si on a du talent, mais que personne ne voit le film, cela ne sert à rien. Les acteurs doivent soutenir le film. Même Meryl Streep est obligée de le faire“, décrypte Scott Feinberg, spécialiste des Oscars pour le magazine Hollywood Reporter. Pour convaincre les votants de l’Académie des Oscars (composés de producteurs, réalisateurs et directeurs de casting), il faut miser sur un véritable travail de lobbying.
“Beaucoup de gens s’amusent du fait que la plupart des 6.687 votants n’ont pas le temps de voir beaucoup de films. La campagne sert à leur rappeler de le regarder avant de voter“, clame Tim Gray, journaliste chez Variety et spécialiste des Oscars.
Une campagne marathon
A l’instar d’une campagne électorale, Isabelle Huppert bat le terrain depuis plusieurs mois. Un terrain qui se compose de tapis rouges, soirées, plateaux télévisés et festivals. Pour l’arpenter sans relâche, elle a posé ses valises aux Etats-Unis jusqu’au soir d’élection.
Depuis septembre 2016, quand elle a interprété “Phèdre” sur les planches du BAM à Brooklyn, un véritable appareil médiatique s’est développé autour de sa “candidature”.
“Son distributeur américain Sony Pictures Classics n’a pas beaucoup de moyens, comparé aux autres. Mais ils envoient leur prétendante partout, multipliant les séances de questions-réponses et les soirées dans les festivals : Toronto, Palm Springs, Santa Barbara, AFI Fest… Cela lui permet de “construire un public”, d’autant que les films étrangers ne représentent que 1% du box office“, remarque Tim Gray.
Pour séduire les votants, la Française vend “un programme” : l’histoire d’une actrice qui mérite cette récompense. Une étape importante de sa promo fut l’AFI Fest à Los Angeles, où elle a rencontré l’industrie cinématographie et a pu nouer des liens avec la presse. Le festival lui avait rendu un hommage qui a permis de retracer sa filmographie.
“Cela fait plusieurs éditions que nous avions envie de la faire venir. Nous sommes honorés qu’elle ait accepté l’invitation, d’autant qu’elle a livré deux performances extraordinaires en 2016 (“Elle” de Paul Verhoeven et “L’avenir” de Mia Hansen-Love)“, raconte Jacqueline Lyanga, la directrice de l’AFI Fest, qui cite ses prestations mémorables dans “Le pianiste”, mais aussi dans des films américains comme “I heart Huckabees” de David O. Russell.
Un budget promo de 1,8 million de dollars
Pour l’accompagner dans sa conquête de l’Oscar, Sony Pictures Classics a investi 1,8 million de dollars, selon Vanity Fair. Le distributeur (qui refuse de communiquer sur le sujet) a notamment recruté une attachée presse spécialisée, une “Award publicist”. “C’est une pratique classique“, assure Tim Gray. Loin d’être une novice dans cette arène, l’attachée Melody Korenbrot multiplie les opérations séduction, ayant même créé des badges “I love Isabelle Huppert” lors de la soirée UniFrance à l’AFI Fest. Son rôle: faire connaître l’actrice, et créer des liens entre les équipes du film et les votants aux Oscars.
Le distributeur Sony Pictures Classics aurait payé 80.000 dollars pour que l’actrice soit en Une de Variety (selon Vanity Fair) et 20.000 dollars pour placer une gigantesque affiche d'”Elle” sur un boulevard fréquenté de Los Angeles.
En bonne candidate, Isabelle Huppert n’a pas ménagé sa peine. Elle enchaîne jusqu’à trente interviews par jour, se prêtant au jeu avec sourire et humour. Pour s’attirer les faveurs de la presse américaine, elle manie la langue de Shakespeare avec aisance. On est loin du temps où son anglais était vertement critiqué. Alors qu’elle jouait dans “Les bonnes” de Jean Genet à New York, le Washington Post et le Hollywood Reporter moquaient son accent “trop prononcé” qui rendait “ses répliques incompréhensibles“.
Désormais, elle brille lors des émissions. Elle a notamment usé de ce charme lors du “Late Show” de Stephen Colbert. Comparée à Meryl Streep par l’animateur, elle s’est prêtée à ce passage obligé, lâchant “I love America“. “Isabelle est très accessible pour la presse, toujours souriante et disponible. Elle a travaillé son anglais, même s’il est un peu rouillé. Tout le monde veut lui parler“, raconte Tim Gray, qui a été séduit par la personnalité de l’actrice. “Elle est très respectée“, complète Scott Feinberg.