Dans les locaux chaleureux de la start-up co-fondée par Jonathan Benhamou et Clément Buyse à Midtown, le nom de PeopleDoc traîne encore discrètement sur quelques coins de murs. Depuis juillet 2018, la plateforme de gestion des ressources humaines basée à New York est passée sous le pavillon du groupe Ultimate Software pour 300 millions de dollars.
Jonathan Benhamou s’est embarqué dans le grand huit de l’entrepreneuriat en 2007. Depuis, ce patron de 35 ans a traversé les grandes étapes de la vie d’une start-up : sa création, les levées de fonds (pour un total de 50 millions de dollars) mais aussi les années difficiles et les doutes. Puis, est venue l’étape finale de cette histoire à rebondissements: la vente.
Pour la plupart des créateurs d’entreprises qui, comme lui, ont cédé leur start-up avec succès, la vente est souvent accompagnée d’un chèque juteux et de nouvelles perspectives professionnelles. Comment les « start-upers » négocient-ils ce nouveau virage synonyme de nouvelle vie ?
Pour Jonathan Benhamou, resté à la barre de son navire en tant que responsable des opérations, « il y a une bulle qui explose ». « On a été sous une adrénaline de roller coaster tous les jours pendant onze ans. Quand on a vendu, c’est devenu plus linéaire. En même temps, ça marche encore mieux qu’avant, on a moins de pression, il y a moins de “downs”, mais il y a moins de “ups” aussi. C’est un peu comme une drogue, il y a une période de detox. »
Christophe Lavigne, qui a co-fondé LDR en 2000 et l’a portée au rang de leader dans le domaine des prothèses de la colonne vertébrale, parle même du « blues de l’entrepreneur ». « Il y a une période de manque qui dure au moins six mois et qui peut revenir », témoigne ce Français basé à Austin, qui a vendu sa société en juillet 2016 à l’Américain Zimmer Biomet pour 1,1 milliard de dollars.
« Vous avez 500 e-mails par jour et, du jour au lendemain, vous en recevez 0. Vous aviez un agenda plein sur six mois et, soudain, plus rien. On a tous ressenti cette sensation de grand vide, raconte-t-il. C’est dur à expliquer et ça peut être mal perçu. Les gens pensent que tout va bien comme on touche de l’argent. Quand vous vendez votre boite, vous êtes jugé en permanence, il faut apprendre à passer au travers », prêche-t-il.
Son conseil : miser rapidement sur de nouveaux projets. Pour lui, la musique avec son groupe Arrows to Fire et un single sorti vendredi 11 janvier. « J’ai la chance de pas avoir besoin de trouver un autre travail », se réjouit le rockeur, qui vit confortablement grâce à la vente de LDR.
Bertin Nahum, fondateur de MedTech, une société spécialisée dans la robotique chirurgicale rachetée par le groupe Zimmer Biomet en 2016 pour 167 millions de dollars, confie également avoir bénéficié de la cession.
« Quand vous avez passé toutes vos économies dans la création d’une société, pendant des années, vous êtes plus ou moins seul à la soutenir, vous avez tout misé, il y a un moment où on a besoin de se mettre à l’abri. Donc quand vous avez d’un seul coup une offre qui arrive et qui, grosso modo, vous mettra à l’abri jusqu’à la fin de vos jours, ce n’est pas évident de dire : “Finalement, je fais all-in, je mise tout sur le rouge et je double ma mise” », observe-t-il.
Ces heureux entrepreneurs qui ont « bien vendu » ont-ils pour autant envisagé de tout laisser derrière eux pour partir au soleil ? Le virus de l’entrepreneuriat semble très souvent les avoir rattrapé. Avec quatre entreprises (dont trois vendues) et des investissements dans plus de 400 start-ups au compteur, Fabrice Grinda est l’archétype du serial entrepreneur.
Ce quadra atypique raconte avec passion ses aventures aux commandes d’Auckland, de Zingy puis d’OLX. « Si j’avais été motivé par l’argent, j’aurais probablement pris ma retraite et je serais allé vivre sur une plage quelque part. Mais l’argent n’a jamais été un objectif en tant que tel. C’est une conséquence de la réussite des boites. Je continue parce que ce que je fais, c’est amusant ! Et ça a un impact sociétal très fort. A mes yeux, participer à créer ou investir dans des boites est un vecteur de sens », analyse le chef d’entreprise dans les locaux new-yorkais de sa petite dernière, FJ Labs, un fonds d’investissement dans les places de marché.
Pour lui, l’argent généré par ses ventes a conduit à une remise en question. « Pendant une certaine période entre 2009 et 2012, j’avais une maison de campagne, une voiture, un appartement etc. En 2012 j’ai tout vendu, j’ai donné tous mes biens matériels à la charité. J’ai dit : “Ok, je n’ai pas besoin de tout ça”. Je suis descendu à 50 objets et j’ai habité sur des canapés d’amis et à l’hôtel pendant trois ans et demi », se souvient-il.
« D’ailleurs, là je vis à l’hôtel en ce moment », note le chef d’entreprise, qui passe « cinq mois par an à New York, un mois à San Francisco, deux-trois mois en République dominicaine et peut-être deux semaines à Nice pour voir la famille ».
Edouard Petit, qui a vendu son entreprise Bunkr au franco-américain Synthesio en mars 2017, a lui aussi décidé de replonger dans le monde des start-ups. Après quelques mois au service marketing de Stanley Robotics – « une très belle opportunité » – le jeune entrepreneur a repris le large fin décembre avec sa nouvelle société, Magma, dédiée au recrutement par recommandation.
« Je suis très excité par ce nouveau projet. J’attends avec impatience de commencer », confiait-il peu avant de quitter son poste de salarié. « C’est un peu comme mon nouveau jouet sous le sapin. »