On adore tous ce moment de l’année. Chez les Français résidant fiscaux et bon nombre d’Américains, “Tax Season” est synonyme de poussée de phobie administrative. Face au tas de formulaires à remplir avant la date butoir du 15 avril et la peur de faire des – coûteuses – erreurs, il est plus facile de sous-traiter la déclaration à un professionnel ou de recourir à des programmes en ligne spécialisés que de le faire soi-même. Cela nous ferait presque manquer la déclaration pré-remplie française. Pourquoi déclarer ses impôts est-il aussi compliqué aux Etats-Unis ? C’est la question bête de la semaine.
La première raison tient à l’architecture fiscale américaine elle-même. Les contribuables paient leurs impôts à deux voire trois niveaux différents: l’Etat fédéral, l’Etat fédéré et le local (ville ou collectivité) dans certains cas. Chaque niveau pratique sa propre politique fiscale, avec ses propres taux et impôts. Il en ressort un beau mille-feuille comme on les aime. Certains Etats comme le Texas, la Floride et Washington, ne prélèvent pas d’impôt sur le revenu alors qu’un résident de New York paye l’impôt sur le revenu fédéral, celui de l’Etat de New York et de la ville de New York.
Autre source de difficulté: l’utilisation du code fiscal pour octroyer des avantages à des populations spécifiques. Là où des pays européens, par exemple, accorderont des subventions, des allocations ou des aides diverses à des groupes ciblés, les Etats-Unis vont créer une batterie d’allégements fiscaux (déductions, réductions ou crédits) dont on ne peut bénéficier que si l’on remplit la déclaration d’impôts. Et plus ces dispositions fiscales s’accumulent aux différents niveaux de taxation (parce que les élus veulent faire plaisir à une partie de leur électorat par exemple), plus le système se complexifie.
“Si le gouvernement veut encourager l’accès à la propriété, l’emploi ou la garde d’enfants, il peut créer un programme pour cela… ou accorder des allégements spéciaux aux propriétaires, aux actifs et aux parents via le code des impôts, résume Vanessa Williamson de la Brooking’s Institute dans une interview au Washington Post. Le problème avec ce système est qu’il rend l’acquittement des impôts plus compliqué, ce qui génère de la frustration. Et ces allégements sont souvent difficiles à identifier“. Ce qui explique le recours à des comptables et autres passionnés de la déclaration d’impôts.
William Gale, un expert qui fait autorité dans le domaine des impôts américains, y voit le résultat d’un équilibre difficile à trouver entre des aspirations d’apparence contradictoires. “Les contribuables pensent que les impôts devraient être justes, sources de prospérité économique, générer assez de revenus pour financer les dépenses de l’Etat et respecter la vie privée de chacun. Ils pensent aussi que des incitations fiscales doivent être utilisées pour mener des politiques sociales et économiques pour les pauvres, le logement, la santé, l’environnement et le petit commerce, écrit-il dans un article de 2016 intitulé “Why are taxes so complicated”. Au final, la complexité est comme la pollution. Une partie d’elle est sans doute non-nécessaire, mais la majeure partie est la conséquence de la production de biens que beaucoup de gens veulent“.
Cela n’empêche pas les velléités de réforme. Plusieurs personnalités politiques, de Ronald Reagan à Barack Obama en passant par de nombreux parlementaires ont proposé de mettre en place des systèmes de pré-remplissage comme il en existe en Europe voire de supprimer les déclarations d’impôts. Mais ces propositions se sont heurtées aux lobbying des entreprises de déclaration fiscale, en particulier Intuit, qui opère le très populaire programme TurboTax et d’autres services d’assistance aux contribuables. Le site d’information Vox rappelle que la société a dépensé 13 million de dollars entre 2011 et 2015 pour son effort de lobbying auprès du Congrès américain. Retournez remplir votre déclaration.