French Morning : Quel regard portez-vous sur le débat actuel sur l’identité nationale voulu par le Président Sarkozy?
Tom Bishop: Pour l’instant, le climat est pourri. Je regrette que ce débat soit devenu un enjeu politique. Aujourd’hui, en France, il n’est même plus question du fond mais de la forme : c’est désormais le débat lui-même qui est remis en cause, et non plus les idées. J’espère que le climat va se détendre car tout sujet vaut la peine d’être examiné objectivement.
FM : Quel parallèle dressez-vous entre la manière dont les Français et les Américains réfléchissent à leur identité ?
TB : Aux Etats-Unis, la question de l’identité nationale se pose et s’est toujours posée. Et, de la même manière qu’il n’y a pas de consensus sur ce que signifie « être Français », personne ne peut se mettre d’accord sur ce que signifie « être Américain ». Pendant des siècles, le « melting pot » américain a fonctionné : est Américain celui qui prend la nationalité américaine tout en gardant ses origines de Polonais, ou d’Italien, etc… Dans ce modèle, il n’y a pas de contradiction entre ces différentes appartenances. Aujourd’hui, ce « melting pot » ne fonctionne plus. Les minorités ont commencé à afficher leur différence. Ces dernières années, de nouveaux immigrés sont arrivés aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le défi pour le pays provient de l’importance de la population hispanique, qui représente un tiers de la population, soit bien plus que la communauté musulmane sur laquelle se focalise le débat sur l’identité en France. D’ailleurs, les non-hispaniques seront en minorité en 2050 aux Etats-Unis, selon les démographes. Une situation inimaginable il y a quarante ans. Et pourtant, cela va se faire mathématiquement.
La France aussi a changé : elle est un pays multiracial. Il faut donc qu’elle se conçoive autrement. Il y a et aura des grincements car on ne peut pas changer sa façon de penser du jour au lendemain.
FM : En tant que francophile, avez-vous une idée de ce signifie « être Français » au 21eme siècle ?
TB : En tout cas, je sais que ça ne peut plus être « nos ancêtres les Gaulois » car une grande partie des Français n’ont pas les Gaulois pour ancêtres. Il me semble que cette dimension « gauloise » fait partie de l’identité nationale de la France mais ne la résume pas. Les Français d’aujourd’hui ont de nombreux ancêtres, notamment en Afrique. Ce lien avec l’Afrique provient d’un passé colonial peu flatteur pour la France. Mais tous les pays occidentaux, les Etats-Unis y compris, ont un passé. Il faut l’assumer et aller au-delà. Ca peut se faire. Je suis personnellement très impressionné par la manière dont les jeunes Allemands ont réussi à faire face au passé de leur pays. Pour moi qui suis né en Autriche, juif, les Allemands étaient les ennemis : ils m’ont chassé de mon pays, ils m’auraient tué. Aujourd’hui, je leur tire mon chapeau. Il me semble que la France, dont la devise est « Liberté, Egalité, Fraternité », pourrait mieux faire face à son passé colonial et à son passé vichyssois. Passé que le Président Chirac avait commencé à assumer en reconnaissant dans un discours le rôle de l’Etat français dans la rafle du Vel d’Hiv.
FM : Pourquoi est-il aussi difficile pour la France de reconnaitre qu’elle est une nation multiraciale ?
TB : Reconnaitre que l’Autre est Italien, Polonais ou Juif n’est pas la même chose que de reconnaitre qu’il est Maghrébin ou Sénégalais. Lors des premières vagues d’immigration, les Français avaient affaire à des gens qui étaient « comme eux ». Or l’immigration d’aujourd’hui est composée de gens qui ne sont pas « comme eux ». Pour les jeunes aujourd’hui, c’est moins difficile à admettre que pour la génération précédente. D’ailleurs, le fait qu’il y a de plus en plus d’unions mixtes facilite beaucoup les choses. Le métissage dans la France profonde, qui était hier inconcevable, parait aujourd’hui possible. C’est une question de temps. Entretemps, il y aura des moments difficiles. Il faut tout faire pour calmer le jeu parce que, comme toujours, certains voudront attiser la braise.
FM : Un Américain, habitant d’un pays multiracial, peut-il comprendre le débat qui se déroule en France ?
TB : C’est difficile mais ca ne devrait pas l’être car si l’Amérique a fait beaucoup de progrès en 25 ans, ce qui est très peu de temps, elle doit se rappeler qu’elle est passée par là. C’était même pire que ça : la situation des noirs en Amérique était terrible. Malgré la guerre de Sécession, les pratiques ségrégationnistes ont perduré jusque dans les années 50 dans le sud du pays. Elles ont été éliminées grâce à l’action de la Cour Suprême. En France, la justice ne jouant pas ce rôle, celui-ci doit donc échoir aux gouvernements, quelque soit leur couleur politique.
0 Responses
Vraiment intéressant. Merci Tom!
Mais si le débat provoque une telle polémique n’est ce pas justement la forme même qui est criticable? Avec ce désir d’un débat franco-francais, la France semble être la risée.. l’enjeu n’est-il pas européen, occidental voire international?
Un éclairage brillant, dépolitisé et revivifiant… Merci vraiment !
Je n’ai même pas participé au débat français car il est en effet apparu pourri dès le départ par ses opposants, ce qui était en fait le but de la manoeuvre. Consternant !
Certes l’Islam est une religion dotée des mêmes droits que les autres mais la radicalisation d’un proshélytisme islamique à des fins politiques voire à une islamisation larvée de la France fait froid dans le dos…
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai émigré en Polynésie française…