Autant vous le dire tout de suite : la lecture du Procès de la chair, publié aux éditions Grasset l’année dernière par David Haziza alors qu’il est jeune professeur à l’Université de Columbia, ne vous laissera pas indifférent. Un exemple ? « Me too [ ] : je n’entends pas là le cri sublime de la femme libre et invaincue, mais un piaulement narcissique. Je ne vois pas la justice qui récrimine, mais un selfie syntaxique ».
Bien sûr, il faut replacer la phrase dans son contexte, et se garder de tout jugement à partir d’un extrait. Mais quand même : David Hazizza cherchait-il la provocation ? « Ce n’était pas mon intention. J’ai écrit ce livre à un moment où je percevais dans la société américaine une réaction excessive. Donc, à tort peut-être, j’avais plutôt l’impression d’être une force, non pas une force qui écrase les autres, mais une force qui devient le porte-parole d’une majorité silencieuse. »
De droite, réactionnaire ? « Je tiens à préciser que je suis absolument contre le politiquement correct et la cancel culture. Ce qui se passe ici est beaucoup plus compliqué qu’un clivage gauche/droite. Le wokisme par exemple, défendu par les universités américaines de gauche, et qui est en partie issu d’une forme d’hyper sécuritarisme, a été initié par la droite dès les années 90. Il existe par exemple une cancel culture chrétienne évangélique. On est bien au-delà des partis, au cœur du fantasme américain, d’une obsession d’être constamment protégé, même au détriment des libertés individuelles. »
Alors qui sont les responsables ? « Le capitalisme ! Son objectif ultime est le règne de la machine qui conduit à des relations humaines de plus en plus déshumanisées. Le technicisme et la manie sécuritaire ont gagné la société tout entière. Nous vivons désormais dans une société profondément individualiste, hypocondriaque et robotique. »
Le puritanisme américain ne date pourtant pas d’hier. « Le mouvement s’inscrit en effet dans une logique ancienne, soutient David Haziza. Au XIXe siècle, c’était déjà ainsi dans les usines. C’est une question de rendement, d’ordre et de pouvoir sur les esprits et les corps. Cela représente le devenir robot de la civilisation capitaliste ou post-capitaliste. »
Avec des conséquences sur nos corps, nos chairs ? « Romain Garry écrivait en 1975 ‘En réduisant la sexualité à une mécanique, en lui enlevant radicalement tout caractère hors commun, épique, divin même au sens païen du terme, on fait du grand mystère et de la plus grisante ivresse du monde un verre d’eau avalé au comptoir d’un self-service.’ Nous y sommes désormais. Les Américains ne se touchent plus. À mon arrivée à New York, en 2011, on draguait encore dans le métro, on draguait son professeur. C’est terminé. Le rejet du corps est l’un des grands désastres contemporains. On ne sait même plus s’habiller. Tout est uniformisé. »
Quelles seraient les solutions pour éclairer ce sombre tableau ? « Le sexe est partout, étudié, “déconstruit” et en même temps dénoncé, surveillé. Mais la chair et le désir sont mystérieux, inconnaissables. Il faudrait revenir à la sexualité dont je parle dans mon livre. Une sexualité belle et subversive. Belle parce que subversive. Et que cesse ainsi, le procès de la chair. »
Un essai passionnant et à contre-courant, érudit mais accessible, mêlant cinéma, philosophie, littérature et sociologie.