Sur la cossue 64e Rue de l’Upper East Side, une entrée discrète mène sur un escalier surmonté d’un somptueux chandelier fleuri en or et orné de perles de cristaux, réalisé par Harumi Klossvska, fille du peintre Balthus. Vous pénétrez dans la Townhouse, le tout nouveau showroom du site Internet français de décoration haut de gamme, The Invisible Collection. « Nous sommes un peu le Net à Porter pour les décorateurs et architectes d’intérieur que nous avons convaincus de nous rejoindre », explique Isabelle Dubern-Mallevays, cofondatrice de The Invisible Collection. Le nom est une référence au livre éponyme de Stefan Zweig, et un clin d’oeil culturel pour les initiés.
Aux côtés de ses associées Anna Zaoui et Lily Frohlicher, cette Française a, au départ, créé un site Internet pour que les designers français d’exception, qui créent des pièces uniques pour des collectionneurs privés, puissent ensuite les vendre à un plus grand nombre. Isabelle Dubern-Mallevays est partie d’un principe simple : un artiste garde la propriété intellectuelle de l’œuvre qu’il a conçue pour son client, et il est dommage qu’elle tombe dans l’oubli. Sa plateforme permet ainsi de mieux faire connaître le travail d’artisans français d’exception, que le grand public et même les adeptes de décoration pointue connaissent encore trop peu.
Cette aventure entrepreneuriale est une deuxième vie pour la Française, devenue londonienne d’adoption. Ancienne journaliste lifestyle pour la chaîne Bloomberg à Paris, elle part dans les Balkans avec son mari diplomate et, à son retour en France, elle monte son entreprise de consulting pour faire découvrir les coulisses de l’art et de la mode parisienne aux étrangers. « Ce concept était très novateur, nous avons ouvert les portes d’endroits secrets et uniques au monde à des internationaux, en plein coeur de Paris. »
Elle multiplie alors les collaborations pour proposer des expériences uniques aux clients de grandes marques comme Chanel ou Hermès et des grands magasins, comme un appartement parisien pour les Galeries Lafayette décoré par des œuvres de la Galerie Perrotin. « Je me suis rendue compte que je prenais beaucoup de plaisir à allier mode et arts décoratifs, qui sont à mon sens intimement liés ». Lorsqu’elle déménage à Londres en 2016, elle décide d’arrêter son activité pourtant florissante et de lancer ce site pour promouvoir le travail de l’ombre des plus grands designers. The Invisible Collection voit le jour.
« Même en plein Brexit et dans un marché britannique moins mature, le site a fonctionné tout de suite. Rapidement, les décorateurs américains sont devenus les plus importants clients de notre plateforme », raconte Isabelle Dubern-Mallevays. « Ils ont tout de suite acheté grâce aux noms prestigieux que nous avons, ils ont confiance sur la qualité de la fabrication et surtout trouvent un œil et un style qu’on ne retrouve pas ailleurs ». La Française, qui connaît bien le milieu, est d’ailleurs « admirative » du niveau de connaissance des décorateurs et journalistes spécialisés américains, familiers avec les maisons françaises et leur savoir-faire. Il faut dire que ces dernières travaillaient beaucoup avec les maisons de luxe de New York au début du XXème siècle. Les États-Unis représentent d’ailleurs aujourd’hui 70 % des revenus du site.
La pandémie n’a pas ralenti la croissance de The Invisible Collection : « Nous étions 100 % digitaux dès le départ et le home a explosé pendant la pandémie, les gens ont aimé s’occuper de leurs maisons et cette passion ne diminue pas ». Parmi les clients VIP, une certaine Gwyneth Paltrow, qui a commandé un canapé et voulait un tissu rare. « Nous lui avons proposé un velours avec une couleur sur mesure de la manufacture royale Bonvallet dont elle a immédiatement aimé et compris le caractère unique et très spécial. »
Grâce à ce développement exponentiel, The Invisible Collection a ouvert une filiale à Paris il y a six mois, puis s’est tournée naturellement vers les États-Unis pour un showroom. « J’ai cherché pendant près d’un an mais je visitais des lieux très froids. Par une coïncidence incroyable, cet endroit faisait partie du mood board initial de The Invisible Collection. Quand nous avons appris qu’il se libérait, nous avons vu un joli signe du destin. » Elle demande aux designers d’intérieur Olivier Garcé et Clio Dimofski de décorer cet espace pour lui donner une impression de maison, chaleureuse et à taille humaine. Et contacte les artisans de son réseau qui répondent présents comme les Ateliers Lison de Caune (marqueterie de paille), Atelier Première (peinture) ou encore Jouffre (tapisserie). Cerise sur le gâteau, une collaboration s’est nouée avec les onze métiers d’art de Chanel (Atelier Montex pour la broderie, Goosens pour l’orfèvrerie, Lesage pour la broderie, Lemarié pour les plumes) qui se sont diversifiés dans la décoration, exposent des œuvres dans l’espace et sont autant de publicité vivante pour le savoir-faire français.
À l’intérieur, un vaste vestibule et un salon côté rue donnent ensuite sur le Grand Salon, dans lequel The Invisible Collection va inviter des designers d’exception de son catalogue pour des expositions solos, tous les deux mois. La première aura lieu avec Aline d’Amman, qui a signé la rénovation de l’hôtel Crillon et plus récemment l’ouverture de l’Orient Express à Venise. Et à Noël, Laura Gonzales recréera un appartement années 80 en collaboration avec Oscar de la Renta, qui prêtera des objets vintages.
Au pied des escaliers, une superbe étagère expose bibliothèque finement sélectionnée par la Librairie 7L – fondée par Karl Lagerfeld dans son ancien studio photo rue de Lille à Paris, 7L sélectionne des livres rares et sur-mesure pour ses clients. Dans son ensemble, la Townhouse new-yorkaise de The Invisible Collection renvoie une atmosphère sophistiquée mais chaleureuse d’un intérieur sur-mesure. Un côté « so French », selon les visiteurs Américains du jour.
Pour Isabelle Dubern-Mallevays en tout cas, qui a pu financer en fonds propres ce bel investissement grâce au développement rentable de la start-up, ce n’est que le début de l’aventure américaine. Avec des équipes au Texas et à Los Angeles, elle envisage déjà l’ouverture du prochain showroom de The Invisible Collection en Californie. « Nous avons eu une très belle collaboration avec Sotheby’s avec une présentation des meubles des Lalanne avec nos collections de meubles contemporains. Il y a une vraie envie de décoration européenne et française, de sophistication, de culture et de sens aussi avec des meubles créés pour être transmis et prendre de la valeur. Nous avons hâte d’y montrer les savoir-faire français et européens. »