“Zemmour voit la France comme morte ou en passe de mourir.” Dans un article paru le 11 décembre dans le New Yorker, le journaliste Alexander Stille fait l’analyse piquante du Suicide français, le dernier livre d’Eric Zemmour. Entre sarcasme, paradoxes et omissions, le “best-seller” appartient, pour l’Américain, à cette littérature du déclin, qui reflète depuis des siècles une “obsession” bien française pour “le suicide national“.
Le journaliste commence par tâcler les Français et leur obsession pour le french bashing. Une obsession, d’autant plus exagérée selon lui, qu’elle n’a pas d’équivalent en français “malgré l’insistance de trouver des équivalents en français pour chaque mot étranger“. Il en veut pour preuve le tweet de Manuel Valls quand Jean Tirole a gagné le Prix Nobel d’économie, en octobre dernier: “Quel pied-de-nez au french bashing!”
Mais ce n’est qu’un prélude à une critique plus incisive, fondée sur un paradoxe. “Personne ne crache de façon aussi enthousiaste sur les Français que les Français eux-mêmes.” Le Suicide français, une “accusation sans pitié de la France contemporaine“, est, en effet, un best-seller.
Par la suite, Alexander Stille décrit le contenu du livre d’Eric Zemmour, lequel tient “(…) l’avortement, (…) la libération sexuelle, les droits des femmes et des homosexuels, le capitalisme (…)” comme responsables du déclin de la nation “de Louis XIV, Napoléon et du Général Charles de Gaulle” – “son adoré“, précise plus loin le journaliste avec ironie.
Si ce dernier concède que Le Suicide français est “écrit avec intelligence“, sa structure – par ordre chronologique – “crée l’illusion de causalité“. “Les manifestations de 1968 ont précédé la mort de De Gaulle, par conséquent les étudiants ont tué De Gaulle“, paraphrase-t-il. “De même, les changements sociaux tels que la décolonisation et la légalisation de l’avortement ont précédé la période de retard économique, par conséquent ils ont tué la France.”
Alexander Stille hisse alors Le Suicide français au rang des romans de la littérature du déclin, citant Edouard Drumont, Louis-Ferdinand Céline et Raymond Aron.
Il note l’emploie fréquent (“23 fois“) du terme “virilité” – une autre obsession d’Eric Zemmour. “Le thème central du propos de Zemmour est la mort du père, la fin d’une société traditionnelle, hiérarchique et autoritaire dans laquelle les hommes étaient des hommes, les femmes subordonnées, les homos dans le placard et la France une grande puissance.”
Une “virilité” qui selon le journaliste, est subjective – puisque le XIXème siècle, période qu’Eric Zemmour considère comme l’âge d’or, “est perçue par ses homologues comme une fosse sceptique d’efféminement et de déclin.” Plus grave encore: c’est “avec cette même virilité que les anti-fascistes de l’après Seconde Guerre mondiale ont affirmé que les Français qui ont collaboré avec les Allemands ont ‘couché avec l’ennemi’ et de façon passive permis à la nation d’être ‘pénétrée’“, chapitre de l’Histoire que Zemmour “ignore“.
L’obsession renvoie au verbe latin “obsidere“, qui signifie “assiéger“. “Zemmour pense que les grands changements – le triplement de la population mondiale, la décolonisation, la montée de la Chine et l’Inde – auraient pu et auraient dû être empêchés par les politiciens français“, écrit le journaliste.
La situation est pourtant loin d’être catastrophique, selon lui. “La France n’est plus un empire, mais reste un pays de taille moyenne prospère avec une très haute qualité de vie.” Il se demande alors si la France pour avancer, doit regarder vers son passé et se retrouver bloquée. “Est-ce que Zemmour a vraiment envie du retour d’un monde où les femmes ne peuvent pas ouvrir de compte en banque sans l’autorisation de leur mari, et où les homosexuels peuvent être arrêtés pour sodomie?“