La lettre aux parents d’un soldat mort en Irak. La description froide de l’assassinat d’un civil, tué de cinq balles dans le dos et les jambes. Une missive plus légère, écrite au milieu désert irakien, demandant au fabriquant de sous-vêtements féminins Victoria’s Secret de lui envoyer les photos d’un mannequin.
Trente-six pages (et presque autant d’histoires) issues du carnet de l’ancien Marine Tim McLaughlin ornent le mur du Bronx Documentary Center, une galerie nichée dans le quartier du South Bronx. Ce lieutenant diplômé de russe et de poésie y raconte la guerre en Irak. Sa guerre. Et il le fait crûment.
Au départ, « j’écrivais parce que je m’emmerdais, pas pour me sentir mieux », dit-il. Mais dix ans après le lancement de l’Opération Liberté Irakienne, ses carnets de guerre sont devenus beaucoup plus : un regard de terrain sur le conflit le plus controversé de ce début de XXIe siècle. « Je voulais raconter la guerre sans filtre, avec ses complexités. Loin des images de dix secondes que l’on nous sert à la télévision», explique McLaughlin.
Il y a les choses que les visiteurs ne liront pas dans cette exposition, “Invasion”. Notamment des pages sur les derniers instants d’un jeune Marine, du nom de Johnson, que McLaughlin a vu mourir. « Pour qu’il pense à autre chose, un officier senior lui a demandé de se rappeler de la dernière fille avec qui il avait fait l’amour. Il lui a répondu qu’il n’y en avait pas eu beaucoup. Juste une seule. L’officier lui a alors demandé de se rappeler comment ils avaient fait l’amour… Johnson lui a dit : ça n’a pas duré très longtemps, raconte McLaughlin. Je me suis aperçu à ce moment-là que ces jeunes mourraient sans avoir eu le temps de rêver ou d’avoir eu des objectifs dans la vie.»
A son retour d’Irak, McLaughlin avait consigné son carnet vert, frappé du sceau des Marines, dans une malle en bois. « J’avais complètement oublié son existence ». Jusqu’à ce que son ami, le journaliste Peter Maass – dont les articles sur l’Irak figurent dans l’exposition, aux côtes des photographies de Gary Knight – l’encourage à les publier. « Il m’a dit : je ne pense pas que tu devrais les garder pour toi ». Au fil des pages, scannées et grossies, le visiteur découvre par exemple les dix choses qui ont changé sa vie. « Ma première copine » peut-on lire, mais aussi le « 11-Septembre » que McLaughlin a vécu aux premières loges : il était à l’intérieur du Pentagone quand le vol 77 d’American Airlines s’y est encastré. En 2003, il est envoyé en Irak. L’image de son drapeau, placée sur la statue de Saddam Hussein avant qu’elle soit détachée de son socle au square Firdos de Bagdad, fait le tour du monde. Mais, dit-il, cet épisode masque la complexité d’une guerre longue, difficile, impopulaire. « Au cours de l’été 2003, je suis devenu frustré par le manque de leadership de la hiérarchie. Les soldats comme moi, sur le terrain, ont fait leur travail. Pas nos supérieurs».
Aujourd’hui, Tim McLaughlin est avocat à Boston. Il dirige une association qui vient en aide aux vétérans sans abris. Il s’estime chanceux, malgré les troubles psycho-traumatiques dont lui et ses camarades sont victimes. « Ce sont conséquences naturelles de la guerre, relativise-t-il. J’ai un bon travail, une bonne famille. Beaucoup des militaires qui étaient avec moi n’ont pas eu cette chance, sans parler des Irakiens, qui n’ont pas pu comme moi quitter le pays”. A la question « est-ce que cela valait le coup ? », que tous les journalistes posent dix ans après le début de la guerre , il répond sans hésiter : « Si je devais le refaire, je rejoindrai l’armée tout de suite, même en connaissant les mauvais aspects ». Il remercie même George W. Bush d’avoir maintenu les troupes sur place malgré l’impopularité du conflit. « Les humains font la guerre depuis toujours, cela ne s’arrêtera pas. Mais si les manifestations pour la paix s’arrêtaient, ça serait encore plus grave ».