Les sous-marins divisent la France et les États-Unis, mais pas les trains. C’est, en tout cas, le sentiment que l’on a quand on se balade dans les rues cossues de Hornell, une petite bourgade de 8 000 âmes près de la frontière canadienne.
C’est ici, dans ce haut-lieu d’érables qui donne tout son sens à l’expression « Small Town America », que la compagnie française de transport Alstom a ouvert une usine en 1997. Ce faisant, elle a apporté une petite touche tricolore à cette commune rurale au pied des collines du nord de l’État de New York. Le magasin de meubles du coin, Davidson’s, datant de 1876, souhaite la « bievenue » (sic) à ses clients français sur une affiche où figure aussi une Tour Eiffel et les bannières française et américaine. Non loin, un drapeau tricolore est accroché dans l’entrée d’une maison.
Entre Hornell et le train, deux siècles d’histoire
Dans son bureau sur Main Street, Jim Griffin a également un drapeau français. Cet octogénaire, véritable légende locale, fut pendant près de cinquante ans le responsable de l’agence de développement industriel de la ville. C’est lui qui a convaincu Alstom de s’installer à Hornell. « C’est ma plus grande réussite, reconnaît-il. Je suis très fier d’avoir continué à miser sur le rail pour le développement de la commune ».
Car entre Hornell et le train, l’histoire dure depuis presque deux siècles. Située à un point de jonction le long de l’ancienne Erie Railroad, une ligne gigantesque qui fila au XIXe siècle entre la banlieue de la ville de New York, au sud, et le Lac Erie, au nord, elle a vu fleurir des ateliers de maintenance et d’autres services associés au chemin de fer. Les ateliers emploient notamment des fermiers de tout le comté de Steuben, dont l’éthique de travail et la débrouillardise n’étaient pas de trop pour réparer les trains.
La faillite de l’Erie Railroad
Au pic de l’activité, la commune comptait 15 000 habitants, liés d’une manière ou d’une autre au rail. Le 15 de chaque mois, jour de paie, les nombreux commerces de Main Street, l’artère principale de Hornell, restaient ouverts plus longtemps pour permettre aux employés de dépenser leur argent. « Il y avait un nombre très élevé d’églises et de bars par tête ! Tout le monde se connaissait et s’entraidait en cas de besoin. Les cheminots étaient une grande famille. Nous travaillions dur. Nous ne le faisions pas pour l’argent, mais parce que nous étions fiers de notre activité », se souvient Eugene Baker, un ancien employé de l’Erie Railroad, rencontré au musée de l’Erie à Hornell. Ce repaire de passionnés du rail, abrité dans l’ancienne gare de la ville, est bourré d’objets (uniformes, trains électriques, journaux…) qui retracent cette longue et riche épopée ferroviaire.
Quand « l’Erie » a fait faillite dans les années 1970, en partie à cause de la concurrence de l’automobile, Hornell a perdu un peu de son identité. « Notre Downtown s’est vidé de ses petits commerces car il y avait moins de gens en ville. Des maisons ont été vendues. Beaucoup d’habitants sont partis », ajoute Collette Cornish, l’historienne de Hornell. Les ateliers ferroviaires qui firent la fierté de cette railroad community ont été ballotés de repreneur en repreneur, laissant un goût amer dans la bouche des habitants qui avaient passé leur vie à y travailler, souvent comme leurs parents et grands-parents avant eux.
Premier employeur de la ville
Pour Jim Griffin et le maire Shawn Hogan, aux affaires entre 1985 et 2017, il était hors de question pour autant de tourner le dos au rail. « Le chemin de fer est dans notre sang », insiste le premier. Après un énième abandon des ateliers, il part à la recherche d’un nouveau repreneur sur Internet. Il découvre alors GEC-Alsthom, le nom de l’entreprise à l’époque. « Je n’avais jamais entendu parler d’eux, mais j’ai vu qu’ils avaient fait plus de trains que n’importe quel autre constructeur au monde. Ils n’avaient pas non plus d’opérations aux États-Unis. Quand ils ont accepté de venir en 1997, je me suis dit : mon Dieu ! C’est énorme ! ».
Depuis, Alstom est restée fidèle à Hornell, même dans les moments difficiles. Premier employeur de la ville, l’entreprise fait travailler 800 personnes dans ses ateliers. Elle y fabrique, entre autres, les vingt-huit TGV nouvelle génération commandés en 2016 par Amtrak, la compagnie nationale américaine. Les rames sont testées sur un circuit voisin qu’Alstom a fait construire. Elle a récemment reçu 3,4 millions de dollars de la part du gouvernement fédéral, avec un coup de pouce du sénateur de New York Charles Schumer, pour bâtir une nouvelle usine dans le nord de la ville. Celle-ci accouchera des rames du train de Chicago, Metra, et permettra la création de 250 emplois. Montant du contrat: 1,8 milliards de dollars.
Retour des commerces et nouveaux logements
En outre, pour respecter la règlementation relative à la fabrication américaine des équipements de transports, Alstom a fait venir dans cette région pauvre et rurale de l’État de New York certains de ses fournisseurs internationaux, comme le français Compin, chargé de la fabrication des sièges des nouveaux trains d’Amtrak. En ville, les commerces reviennent. De nouveaux logements sont sortis de terre pour faire face à l’accroissement de la population. Un hôtel, le premier à Hornell, doit également ouvrir ses portes prochainement.
Un petit contingent de Français expatriés figure au sein de la trentaine de nationalités du site de Hornell. Olivier Colson, le directeur de l’approvisionnement, en fait partie. Il est arrivé en 2015 avec sa femme et ses trois enfants. « J’avais le choix entre Dubaï, l’Afrique du Sud, la Russie. Mais j’ai choisi Hornell pour la qualité de vie, explique-t-il. Les gens sont très accueillants. Ils savent que l’expertise nécessaire pour la réalisation des projets n’est pas toujours disponibles en local ». Il a eu un quatrième enfant depuis son installation. « Je ne pensais pas rester plus de trois-quatre ans à Hornell, mais mes enfants se sont américanisés et je suis en processus de carte verte, dit-il. C’est un pays magnifique ».