Qu’est-ce qui prédestine un jeune New-Yorkais à devenir joueur professionnel de rugby en France ? À priori, pas grand chose, à moins d’être immergé dans la culture française dès le plus jeune âge. C’est le choix qu’ont fait les parents de Damian Morley, jeune espoir du rugby américain qui vient d’intégrer l’équipe Espoirs du Stade Toulousain, en inscrivant leur fils en école bilingue au Lycée Français.
« J’ai découvert le rugby en CM2 grâce à mes camarades français qui y jouaient à l’école, explique Damian Morley dans un français presque parfait, à peine deux mois après son arrivée à Toulouse. À l’époque, je ne faisais pas vraiment de sport à part du skateboard. Je les voyais parler de leur entraînement chaque midi, et j’étais très jaloux. Je me suis inscrit pour me rapprocher d’eux. »
Damian Morley n’a que dix ans mais montre très vite des prédispositions pour l’ovalie. Trois ans plus tard, il rejoint Play Rugby USA, un programme new-yorkais plus intensif, avant de rejoindre la Xavier High School en 2017, la première école à avoir créé une équipe de rugby aux États-Unis en 1976. « Damian a rejoint la varsity team à seulement 14 ans (équipe première). D’habitude, je ne surclasse pas les joueurs comme ça, mais il était très talentueux et surtout passionné par le jeu, lâche Gregory Norris, son entraîneur à Xavier. Il vit et respire rugby 24h/24. C’est quelqu’un avec qui tu debriefes les matches tous les jours, et qui essaie d’améliorer sans cesse ses performances. »
Six mois en Afrique du Sud
Petit gabarit de 1,77m pour 80 kilos, Damian Morley évolue au poste de demi de mêlée mais peut également jouer en demi d’ouverture. Il représente les Eagles, l’équipe nationale américaine en catégorie moins de 18 ans, puis arrive décembre 2019. « J’aurais du partir en stage de rugby en Nouvelle-Zélande l’année dernière, mais j’ai été un peu stoppé dans ma progression à cause du covid, confie le jeune homme. Heureusement, je peux compter sur le soutien de l’United States Rugby Foundation. Quand la situation sanitaire s’est améliorée en février, j’ai pu partir en Afrique du Sud. »
L’US Rugby Foundation, en lien avec la fédération américaine (USA Rugby), finance des programmes dédiés au développement du rugby aux États-Unis. Elle a envoyé Damian Morley pour six mois à la Stellenbosch Academy of Sport de Durban, une prestigieuse école de rugby sud-africaine. « C’est un rêve qui est devenu réalité. J’ai pu m’entraîner avec Neil de Kock, l’ancien demi-mêlée des Springboks, raconte Damian Morley. Malheureusement je me suis blessé. Mais ça m’a permis de réfléchir et de m’améliorer sur d’autres choses comme ma vision du jeu, la communication avec mes coéquipiers et le conditionnement mental. »
Le rugby continue sa marche en avant aux États-Unis. Créé en 2018, le championnat de MLR (Major League Rugby) regroupe 12 équipes et en accueillera une 13ème en 2022 à Dallas. La ligue a également organisé sa première draft universitaire en 2020, et recruté plusieurs grands noms du sport comme Mathieu Bastareaud (Rugby United New York), qui a finalement dû rentrer en France au début de la pandémie. « Damian est le meilleur exemple de ce que devrait être le rugby aux US. Un sport joué dès le plus jeune âge et par le plus grand nombre, estime Gregory Norris. Il y a beaucoup de bons programmes dans ce pays, mais ils sont très peu connus ou mis en avant. À Xavier, sur 280 élèves de première année de lycée, seulement 10 ou 15 d’entre eux ont déjà touché un ballon dans leur vie ». « Je sais qu’on a une jeune ligue professionnelle aux US, mais pour l’instant si on veut réussir, on doit aller gagner de l’expérience à l’étranger », ajoute Damian Morley.
S’intégrer à Toulouse grâce au français
Arrivé en août dans la ville rose, le jeune New-Yorkais joue pour l’instant avec l’équipe espoir du Stade Toulousain. Mais il ne rate pas une miette de ses entraînements avec les professionnels. « C’est une grande équipe avec des joueurs excellents à tous les postes. J’ai la chance de pouvoir apprendre d’Antoine Dupont, qui est pour moi le meilleur demi-mêlée du monde. Quand tu regardes ses matches, tu vois qu’il ne fait aucune erreur. Ce qui m’impressionne également ici, c’est la vitesse dans la circulation du ballon et dans la prise de décision. »
Très patient mais ambitieux, Damian Morley sait que son heure viendra avec les pros. « C’est le niveau que je vise depuis que je suis petit, mais je ne suis pas trop du genre à faire des plans sur cinq ou dix ans. Je préfère me concentrer sur chaque journée, chaque semaine, en travaillant le plus dur possible ». « Bien sûr qu’il va passer professionnel, estime son ancien coach à Xavier. Il y a beaucoup de concurrence au Stade Toulousain mais ils auront besoin de lui à un moment donné. Il est déjà très mature pour son âge et très robuste physiquement. »
La maîtrise de la langue française devrait l’aider à s’intégrer dans sa nouvelle équipe. Un bagage culturel dont il est aussi fier que ses parents. « C’est complètement incroyable pour eux. Ils n’avaient aucun lien avec la France à la base, sauf ma mère qui a fait un semestre d’échange ici dans sa jeunesse. Et aujourd’hui mon frère jumeau et moi habitons tous les deux en France. L’un est dans la cryptomonnaie, l’autre joue au rugby. C’est très improbable, s’amuse-t-il. Pour autant, mon sang est américain et les opportunités que j’ai eues jusqu’ici dans le rugby provenaient de la fédération US. Ils ont vu un futur en moi, et j’espère représenter mon pays un jour. »