La moto Ural de Jérôme Ribeiro restera quelques semaines au garage: le propriétaire de Rides by Me, qui propose des visites guidées de San Francisco en side-car, a vu ses réservations annulées les unes derrière les autres: “Mi-février, j’avais une trentaine de visites réservées pour mars et avril. Il ne m’en reste plus qu’une seule pour le 1er mai“, rapporte cet Alsacien d’origine. “Les gens ne peuvent plus voyager depuis l’Europe, mais espèrent revenir plus tard.” Guide touristique le jour, Jérôme Ribeiro est également, le reste du temps, serveur à Bistro Aix, un restaurant français situé dans la Marina. Une activité qui s’est elle aussi arrêtée en raison de l’épidémie de Covid-19: “Depuis une dizaine de jours, nous avions beaucoup moins de monde. Samedi dernier, mon patron a décidé de fermer pour deux semaines. Il faut aussi penser à ses employés: quand on sert les gens, on ne peut pas maintenir une distance de 2 mètres.” Jérôme Ribeiro n’a d’autre choix que de pointer au chômage pour le moment. “J’ai postulé pour être livreur chez Amazon, on m’a dit qu’on me répondrait dans 4 à 8 semaines!”
Emeline Moutarde, créatrice d’objets pour enfants, n’a plus de commande sur son site Sew Francisco depuis fin janvier: “Je vis à Sunnyvale, où la communauté asiatique est très importante: très tôt, nous avons vu les rayons des supermarchés se vider, sans doute car leurs familles les avaient prévenus de ce qui se passaient en Chine ou. en Asie du Sud-Est. La priorité est donnée aux objets de première nécessité, et pour le reste, les gens n’ont pas la tête à acheter.” Travaillant à flux tendus, Emeline Moutarde relativise sa situation: “Je n’ai pas de magasin, donc pas de loyer à payer, et très peu de stocks. Je profite de cette pause forcée pour travailler sur mon site, ou faire mes fiches-produits, des activités pour lesquelles je n’ai pas beaucoup de temps, et faire la classe à ma fille de 3 ans“, souligne avec philosophie cette enseignante de maternelle reconvertie dans la couture.
Certaines des créations de Sew Francisco étaient vendues à la boutique de vêtements pour enfants Mini-Chic, dans le Castro. Le magasin a fermé ses portes le dimanche 15 mars: “C’était la bonne chose à faire, il faut que tout le monde y mette du sien“, confie sa propriétaire, Coralie Tran. ” J’ai pris la décision de fermer pour ma santé et celle des autres. Par ailleurs, nous avions déjà constaté une baisse d’affluence depuis quelques semaines.” L’avenir reste incertain, en raison des loyers élevés qui doivent continuer à être payés: “La ville doit débloquer des fonds pour aider les petits commerces, mais même avec 10.000 dollars, ce n’est pas grand chose. Si cette crise dure deux semaines, on pourra s’en sortir. Un mois, je ne sais pas…”
Chez Gazette, on s’inquiète aussi de devoir payer un loyer sans pouvoir ouvrir la boutique pendant plusieurs semaines. Situé dans Hayes Valley, le magasin de vêtements, produits de beauté et accessoires made in France a dû également baisser son rideau, suite au confinement décrété lundi 16 janvier. “La semaine dernière, plus de 90% des commerçants indépendants du quartier affichaient leur intention de rester ouverts. Nous avons des loyers exorbitants à payer, et sans vente, c’est très difficile. J’ai deux employées que j’ai dû mettre en congés sans solde jusqu’au 7 avril, et j’essaie de négocier une baisse de loyer avec mon propriétaire“, rapporte la fondatrice de Gazette, Charlotte Boëdec. Elle compte sur la boutique en ligne pour rebondir: “C’est un peu un pari, car je ne vends pas d’objets de première nécessité, mais je vais d’abord me concentrer sur les clients réguliers, et proposer une livraison en deux heures à San Francisco. J’aimerais aussi inciter les clients à acheter des cartes-cadeaux, car cela nous permettra de rentrer des fonds immédiatement et de survivre pendant ces temps incertains.“