Le sujet est plus touchy qu’il n’y paraît. Sur le groupe Facebook des « Frenchy à New York », le témoignage d’un Français, dépité par l’échec de ses relations amoureuses avec des Américaines, a récemment libéré la parole, suscitant des dizaines de commentaires. Car, si chaque histoire est unique, dans les couples franco-américains, avoir le cœur qui bat à l’unisson n’a rien d’évident. Argent, travail, religion, politique, relations hommes-femmes… sont autant de fossés culturels potentiellement explosifs. Si ces écueils ont raison de certaines idylles, d’autres couples apprennent à naviguer avec harmonie entre leurs deux continents. La Saint-Valentin est l’occasion de percer les secrets des couples franco-américains.
Il y a 5 ans, Coralie, Belge de 36 ans, a eu un coup de cœur pour Spencer, un militaire américain déployé dans le Plat Pays. Ils tissent aujourd’hui leur cocon à Atlanta, avec leur bébé de bientôt un an. « Je suis devenue une trad wife ! » s’amuse cette ancienne avocate. Après leur rencontre, la jeune femme a su assez vite que cet Américain de 34 ans « adorable, fiable, gentil, intelligent », était l’homme de sa vie. Lui, plus « old school », a pris davantage son temps. « Ce n’est qu’au bout d’un an qu’il m’a dit : “Mais oui, je t’aime” se souvient-elle. Jusque-là, il ne me semblait pas parfaitement engagé. En revanche, une fois que les présentations à ses parents ont été faites, le mariage a été une évidence pour lui, et tout s’est enchaîné très rapidement. »
Comme l’a décortiqué avec humour la Française Isabelle Driel dans cet ouvrage chroniqué par French Morning, l’amour à l’américaine, avec ses étapes très codifiées du « dating », du « talk », et de « l’officialisation », peut dérouter les Européens, plus spontanés. Une fois franchi le labyrinthe du dating à l’américaine, reste à apprivoiser, au fil des mois et des années, tout ce qu’il y a de français ou d’américain chez l’autre. S’adapter est encore plus vrai pour celui ou celle qui rejoint sa moitié dans son pays natal.
Coralie a eu « un vrai choc » en quittant sa campagne belge pour débarquer dans le centre-ville d’Atlanta. « J’ai eu l’impression de redevenir une petite fille qui ne savait rien faire, dit-elle. Il a fallu beaucoup de volonté pour rétablir un équilibre entre nous. » Leur ciment ? « L’amour ! » répond-t-elle sans hésiter. Et surtout, avoir « un objectif commun ». « Nous voulons faire notre petit nid, créer notre famille et vivre nos rêves, affirme la Belge. Quand j’ai le blues du pays, j’essaie de me rappeler de l’époque où je rêvais de vivre avec lui. Je sais pourquoi je le fais. C’est ça qui nous permet de surmonter les étapes et les épreuves. »
Car les points de friction ne manquent pas dans les couples Franco-Américains. À commencer par la manière de gérer l’argent, affirme Charlie, une Française de 37 ans, qui vit dans l’État de New York avec son mari, un Américain, et leurs deux enfants : « Pour lui, comme pour beaucoup d’Américains, la réussite compte énormément. Il faut faire de l’argent, avoir de gros chiffres sur son compte en banque, pour dépenser comme on veut. Alors que pour moi, ce n’est pas ma première motivation. »
L’art de manger à la française fait aussi souvent partie des points non négociables. Ombeline, qui vit à Boulder, dans le Colorado, avec son mari américain et leurs deux enfants, n’a rien lâché là-dessus. Fini le snacking, son mari apprécie désormais les plats faits maison, pris à horaires fixes à table. Chez eux, les enfants ne se servent pas dans le frigo, et un compromis a été trouvé pour limiter les jeux vidéos. « Je pense qu’on a gardé un mode de vie assez français », apprécie Ombeline, tous deux ayant vécu dans l’Hexagone.
S’ils n’ont « jamais de grosses disputes », la politique reste un sujet de discorde. « Mon mari est très pro-Trump », glisse la Française, qui, à l’inverse, n’aime pas « les extrêmes ». « Au moment de l’élection présidentielle, j’ai eu très peur d’entendre parler de Trump non-stop pendant 4 ans, mais mon mari me connaît, alors il évite de mettre le sujet sur le tapis. » Dans sa belle-famille, la Française a appris à mettre de l’eau dans son vin. « Je me suis fait à l’idée : de temps en temps, je défends mes idées et parfois il faut se taire », philosophe-t-elle.
Pour Ombeline, les différences culturelles sont comme les différences éducationnelles : « On s’adapte comme on se serait adaptés si on avait été élevés dans des familles de milieux différents. » De leur côté, Charlie et son mari essaient de tirer profit du meilleur de la France et de l’Amérique, en s’ouvrant au point de vue de l’autre. Ce qui n’est pas toujours évident. « Ça part aussi en engueulades, assume la Française. Quand on n’a pas la même nationalité, il faut se battre davantage pour son couple, avoir de la patience. »
Pour toutes deux, la communication est la clé du succès : « Ce qui fait que ça marche, c’est que nous avons tous les deux conscience que vivre loin de sa famille, c’est difficile, témoigne Ombeline. En France, j’étais à l’écoute sur le fait que sa famille lui manquait. Ici, quand ma famille me manque, il me comprend et me soutient. On parle beaucoup, on ne laisse pas de sujet pourrir. »
Mais la romance franco-américaine peut aussi tourner court. Julien, 42 ans, CEO dans la tech, est retourné vivre à Paris après 3 ans d’une relation tumultueuse avec une élégante New-Yorkaise, entrepreneure dans la pub. Le coup de foudre pour cette belle rousse, lectrice de Colette, avait pourtant débuté sous les meilleurs auspices, autour d’une coupe de champagne dans un café parisien. Très vite, les amoureux louent un appartement à Paris et un second à New York, et vivent « la vie rêvée » des deux côtés de l’Atlantique.
Mais au bout d’un an, à cause de ses absences, sa boîte perd des clients et leur relation se tend. D’autant que sa chérie se montre jalouse de ses ex-compagnes, restées ses partenaires de business. « Rester ami avec une ex, et plus généralement, entretenir des amitiés homme-femmes, ce n’est dans la culture américaine » estime Julien. Athée, il ne se voit pas fréquenter la paroisse évangélique de sa compagne, tous les dimanches. Sans compter que le courant passe mal avec les parents de l’Américaine, « Trumpistes à fond », alors qu’ il se sent plutôt proche d’Emmanuel Macron.
Et même si le Français gagne très bien sa vie, arrive le moment où il ne peut plus suivre le train de vie faramineux de la millionnaire. « Je suis le Français qui roule en Renault et qui a voulu toucher à un truc qui n’est pas de mon monde » dit-il, léger, en comparant avec le film « Hors de Prix ». Le couple se sépare. « J’en ai gardé la conclusion qu’avec les Américains, on a un rapport au monde qui n’est pas le même. Nous, les Européens, nous avons davantage de souplesse d’esprit », veut croire Julien, sans aucune amertume pour ce qui restera « une expérience extraordinaire ».