Le Texas ressemble plus au reste des Etats-Unis qu’on ne le croit. Des forêts de cyprès de l’Est aux déserts de l’Ouest, et de la vallée du Rio Grande aux plaines du Nord, le Lone Star State est une synthèse du pays. Aux accents sudistes, certes.
C’est vrai sur le plan géographique, mais aussi sociologique. Depuis le démarrage du projet Texas Families avec ma consœur, la journaliste Mélinda Trochu, le 15 octobre dernier, nous avons interviewé toutes sortes de familles dans ce grand Etat de plus de 25 millions d’habitants : des pauvres, des riches, des ruraux, des urbains, des jeunes, des moins jeunes, des Hispaniques, des Blancs, des Noirs… Et bien profité de l’hospitalité sudiste !
En effet, le concept de ce reportage au long cours financé par un campagne de crowdfunding est de rencontrer une famille différente, dans une ville différente, chaque jour, et de passer la soirée avec elle, si possible autour d’un repas, afin de découvrir son parcours, son quotidien et ainsi toucher du doigt les thèmes de campagne. Nous avons rencontré quelques difficultés ici et là. Mais deux jeunes femmes françaises sont presque toujours bien accueillies, même s’il est parfois difficile d’ouvrir sa porte à des inconnues. Et discuter pendant quelques heures mène à de vrais échanges, dans lesquels on découvre des détails insoupçonnés, mais où l’on donne aussi, en racontant comment ça se passe en France et en invitant nos interviewés à visiter nos contrées.
A Austin, avec la famille de Carl Blyth, recomposée autour d’un couple gay, nous avons parlé du mariage homosexuel. Après avoir fait un saut par la première Maison Blanche texane, celle de Lyndon B. Johnson (le seul Président démocrate originaire du Texas), nous avons mesuré le recul de l’activité agricole à Bandera, l’autoproclamée « capitale des cowboys », en interviewant un rancher dresseur d’animaux exotiques pour l’industrie du cinéma, Bill Rivers. A San Antonio, la septième ville du pays, nous avons constaté la misère dans laquelle vivent les personnes dépendant des allocations, comme les Valdez, une famille au sein de laquelle les deux parents ont le statut d’adulte handicapé. Etc.
Les différences entre la France et les Etats-Unis étant importantes, les discussions sur l’avortement ou la peine de mort par exemple soulignent le fossé qui sépare parfois les deux côtés de l’Atlantique. Mais les rencontres que nous faisons sur la route, par exemple avec un officier de libération conditionnelle à Huntsville ou un étudiant sans papiers militant pour les droits des migrants nous permettent de mieux comprendre le point de vue de nos interviewés.
« Le Texas change »
Texas Families permet aussi de mesurer la complexité des motivations du vote. Leurs choix ne se liront pas dans les résultats nationaux. Mais le Lone Star State compte des jeunes progressistes et des Républicains qui préfèreront Obama pour le scrutin national. Comme le constate un candidat à la législative, « le Texas change ». Il y a peu de chances qu’il devienne démocrate dans six ans comme le prédit Neil Burns. Mais les mutations sont indéniables.
A part la vallée du Rio Grande, qui fonctionne plus comme le Mexique, ce qui frappe, c’est la solitude des personnes que nous interviewons. Cynthia Rogers entretient des liens épisodiques avec sa famille, ne parle pas à ses voisins. Les Ellis ont coupé les ponts avec certains de leurs proches.
Et le fossé se creuse entre les différentes classes sociales. Comme le regrette María López, une femme de ménage s’étant récemment mise en grève pendant un mois à Houston pour conserver ses maigres avantages sociaux et une augmentation d’un dollar sur quatre ans, « les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ».