“Depuis que les cours en ligne ont commencé, les élèves en redemandent. Ils nous ont même réclamé des sessions pendant les prochaines vacances, c’est plutôt inattendu” confit Edith Boncompain, vice-présidente du FIAF. Depuis le début de la semaine, aux Etats-Unis, les établissements scolaires français ont fermé leurs portes afin de contrer la prolifération du coronavirus. Bon nombre d’entre eux ont su réagir efficacement afin de maintenir l’enseignement auprès des élèves avec la mise en place de cours par correspondance.
Comment ça s’est mis en place ?
“Cela fait deux semaines que nous travaillons sur la mise en place de cours en ligne. Le plan est effectif depuis vendredi 13 mars. Avant cela, les professeurs ont reçu une formation et un test a été effectué la veille, afin de confirmer la mise en application du plan en ligne” explique Rachel Loble, responsable de la vie scolaire à The Ecole, établissement scolaire français implanté à Manhattan. Le Lycée français de New York a quant à lui eu l’avantage de s’être tourné vers le digital il y a cinq ans. “Nous avions fait de gros investissements technologiques qui aujourd’hui nous sont particulièrement bénéfiques” explique Evelyne Estey, chef de l’établissement. “Ainsi, nous avons pu nous adapter à la situation et nous lancer dans les cours en ligne très rapidement”.
Fermé depuis le jeudi 12 mars, le Lycée français s’est attelé, tout au long de la semaine, à mettre en place son plan de continuité académique, préparé depuis fin janvier. Les élèves et professeurs ont effectué un test vendredi 13 mars, en amont de la première journée de cours en ligne le lundi 16 mars, et ce, jusqu’aux vacances de printemps. Du côté de Central Park, le FIAF a officiellement fermé ses portes lundi 16 mars. Les professeurs ont été formés et encouragés à diversifier leurs contenus afin de les adapter au format en ligne. La première session de cours virtuels se terminera cette semaine, et reprendra vraisemblablement dès le lundi 6 avril. L’école espère mettre en place des programmes pour ces semaines de “vide” afin de maintenir le lien social virtuel avec les élèves.
Sur la Côte ouest, près de Palo Alto, Mathilde Mazuyer est professeur remplaçante à l’ISTP (International School of the Peninsula), et enseigne à une classe FLE de l’association EFBA (Education Française Bay Area) à San Francisco. L’association propose, deux fois par semaine, des cours en “after school”, mais suite à la fermeture des différents établissements où elle intervenait, il lui a fallu s’adapter à la situation. “Nous avons dû rapidement former nos enseignants aux cours en ligne, et nous avons communiqué l’information aux parents et élèves” explique Gabrielle Durana, fondatrice et directrice générale de l’association EFBA. Un plan de formation, avec des vidéos “tutorat”, a été mis en place par Bianca Monaco, directrice générale et chef de la technologie de l’EFBA. Après toute une semaine de formation, les cours en ligne commenceront dès le lundi 23 mars.
Quels outils ?
S’inspirant des outils déjà utilisés par des établissements français à l’international, The Ecole a décidé d’utiliser “l’outil Google Meet, qui permet aux professeurs d’être en contact visuel avec leurs élèves. Les interfaces de partage de documents telles Google Docs, Google Classroom ou Padlet permettent aux élèves et professeurs de s’envoyer des travaux et de travailler en groupe facilement. VoiceThread est surtout utilisé par les petits, afin qu’ils puissent recevoir des liens et des documents. Ils ont la possibilité de s’enregistrer lors du cours de musique, ou d’améliorer leur prononciation en mandarin” continue Rachel Loble. Avec de premiers retours positifs, The Ecole a programmé son plan de formation en ligne jusqu’aux vacances de printemps. Le FIAF et le Lycée français s’accordent sur l’utilisation de l’outil de video conférence Zoom.“Cela fait déjà deux semaines que nous discutons avec nos enseignants de l’éventuelle mise en place de cours par correspondance. Ils ont reçu une formation sur Zoom” explique Evelyne Estey, du Lycée français. “Les cours ont continué sur Zoom selon les horaires habituels et les premiers retours de la part des enseignants sont plutôt positifs, bien que quelques ajustements restent à faire” explique Edith Boncompain. Du côté de l’EFBA, les professeurs enseigneront par video grâce à Google Meet et partageront les travaux sur Google Classroom. “Nous avons veillé à utiliser des outils cyber sécurisés. C’est vraiment très important pour nous que les données des élèves soient protégées” continue Gabrielle Durana.
Recréer les habitudes
Au-delà des outils, c’est la rupture du lien social formé à l’école qui inquiète nombre de pédagogues. Pour éviter cela, “nous avons demandé aux élèves de garder leurs habitudes, de porter l’uniforme et de respecter les horaires et temps de pause” explique Evelyne Estey, du Lycée Français. L’établissement a conservé les mêmes horaires, et proposent aux élèves des séances synchrones et asynchrones avec des temps réguliers de pause. Des séances individuelles sont proposées aux élèves plus en difficulté. “Nous conseillons aux élèves et professeurs de prendre au sérieux ces temps de pause pour se dégourdir et se détacher un moment des écrans” poursuit la cheffe d’établissement.
“Il faut faire attention à ne pas demander trop d’heures de cours par vidéo, cela est particulièrement fatiguant pour les enfants” poursuit Rachel Loble, de The Ecole. Un engagement pris également par le FIAF, qui propose aux plus petits des lectures de contes et comptines, des visionnages de vidéos et des activités autocorrectives pour améliorer leur autonomie. Les cours se font le plus souvent par petits groupes, notamment pour les petits qui ont tendance à rester moins concentrés que les grands. “Nous avons aménagé le format en mettant en place un système de classe inversée : les cours sont plus courts mais des activités en ligne sont proposées aux élèves afin qu’ils travaillent tout seul” continue Edith Boncompain. Pour les élèves en difficulté d’apprentissage, The Ecole sollicite un personnel enseignant spécifique afin de les aider. “L’enseignant référant se connecte en même temps que l’élève pour l’aider en direct lors du cours video” explique Rachel Loble.
Du côté de l’EFBA, Mathilde Mazuyer s’interroge sur la réaction des enfants et leur capacité d’adaptation.“C’est beaucoup de changement en très peu de temps. Nous ne pourrons pas discerner les émotions des enfants en directe. Si certains d’entre eux auront la chance de compter sur leurs parents pour les aider, ce ne sera pas le cas de tous, et j’espère que les plus en difficultés sauront s’adapter”. L’EFBA a quant à elle décidé d’aider les professeurs dans la création de contenus pour cette première semaine. “Nous nous efforçons de proposer aux élèves des formats de cours ludiques, vifs et vivants. Les cours se distingueront en “scénario” d’une quarantaine de minute et cinq fois par semaine, par groupe de cinq à six élèves. Nous souhaitons proposer aux enfants des visites de musées virtuelles, ou même des séances de yoga” détaille Gabrielle Durana, la directrice de l’association.
Ces cours en ligne, nécessaires à la continuité de l’apprentissage des élèves, ont aussi un intérêt social et émotionnel. Ils permettent de maintenir un lien, entre l’école, les professeurs et les étudiants, et ainsi éviter d’éventuels ressentis de solitude. “Même si la pédagogie est plus lente, nous arrivons à tenir les cours et le fait de garder ce lien social avec nos élèves est vraiment important. J’ai des élèves retraités pour qui ces cours représentent les seuls moments où ils ne sont plus seuls” explique Svetlana Pezier. “Si je peux donner quelques conseils, il est important de bien se préparer, de veiller à avoir une bonne connexion, d’être dans un environnement calme, de couper son micro lorsqu’on ne parle pas et de respecter le temps de parole de chacun.” précise-t-elle. A The Ecole, les activités extra-scolaires sont maintenues. “Les professeurs de sport partagent à leurs élèves des vidéos pour garder une bonne activité physique à la maison. The Ecole finalise un guide des meilleurs manières de travailler de chez soi : par exemple, il est important de se créer un espace de travail, confiné des autres, et d’instaurer une routine quotidienne afin de rester contant dans ses horaires” conseille Rachel Loble.
“C’est une expérience incroyablement enrichissante” remarque Evelyne Estey. “Ce qui est intéressant, c’est que les réseaux sociaux sont continuellement critiqués, mais aujourd’hui, ils nous sauvent la vie. C’est assez ironique” note Edith Boncompain. Le Lycée Français a initié des points réguliers avec les autres établissements scolaires de New York. “Si cela est possible, nous espérons pouvoir aider d’autres écoles à se former aux cours en ligne. La solidarité entre corps enseignants est fondamental en cette période nouvelle” conclut Evelyne Estey.