Pour la première fois, les Français de l’étranger vont élire des députés lors des élections législatives des 2 et 16 juin 2012. Les Français des Etats-Unis et du Canada, regroupés au sein d’une unique circonscription, sont très courtisés: huit candidats se sont déclarés. French Morning suivra de près cette campagne électorale inédite et ira notamment à la rencontre de tous les candidats. Début de cette série aujourd’hui avec la candidate du Parti Socialiste Corinne Narassiguin.
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Vous vous imaginez expliquant à des banquiers new-yorkais que vous êtes “socialiste”? C’est le quotidien de Corinne Narassiguin qui doit en plus raconter comment une New-yorkaise d’adoption a décidé de devenir députée à l’Assemblée Nationale française. “En fait, ça se passe très bien, assure-t-elle. Les collègues me soutiennent beaucoup. Les Américains sont dans beaucoup dans le ‘give back to the community’. Ils trouvent cela très bien de s’impliquer”.
Ingénieure systèmes à Citi Group, Corinne Narassiguin, 37 ans, est la candidate du Parti Socialiste pour les législatives de juin prochain dans la circonscription d’Amérique du Nord. Si elle était élue, son profil dénoterait à coup sûr au sein du groupe socialiste: cadre de banque, à New York. Sans compter, dit-elle, qu’elle “n’aime pas trop les écuries, les courants“. Née à la Réunion, dans une famille d’enseignants militants de gauche, elle ne s’est pourtant engagée dans la politique française qu’en 2000, une fois arrivée aux Etats-Unis. “J’ai rejoint le PS à New York justement parce qu’on y faisait de la politique autrement (…) Nous ne sommes pas dans des courses d’élection permanentes. On est dans une mécanique très différente”. Une fois élue, elle assure qu’elle tentera de ne pas entrer dans le jeu des courants. “On verra si c’est possible ou pas”, dit-elle.
Mais il faudra d’abord gagner dans une circonscription où elle est loin d’être favorite: les Français des États-Unis votent d’ordinaire plutôt à droite et avaient choisi Nicolas Sarkozy à plus de 60% en 2007. Pour tenter de renverser l’équilibre, le Parti Socialiste est parti très tôt. Dès décembre 2010, les militants locaux ont tenu leur primaire et désigné Corinne Narassiguin qui depuis arpente la circonscription. Et croit à ses chances: “Au total, les Français d’Amérique du Nord ne penchent pas tant à droite. Au Québec notamment, où ils sont plus nombreux que dans toutes les autres circonscriptions consulaires, ils avaient voté en majorité pour Ségolène Royal en 2007.”
Comme à l’échelle nationale, PS et Verts ont fait alliance dès le premier tour. Corinne Narassiguin aura donc comme suppléant un représentant d’Europe écologie – les Verts, Cyrille Giraud, installé à Montréal. En l’absence pour le moment de candidat du Front de Gauche, la gauche ira donc unie au premier tour face à une droite pour l’instant divisée. Face à Frédéric Lefèvre, le candidat investi par l’UMP, les candidatures divers droite se multiplient. “C’est évidemment un avantage pour moi, d’autant que Frédéric Lefèvre est un vrai parachuté”.
Quoiqu’il en soit, explique la jeune femme, la clef de cette campagne sera la participation. La présidentielle de 2007 avait plafonné à 45 % de participation, très en dessous de l’Hexagone. Pis, aux élections à l’Assemblée des Français de l’étranger (un organe consultatif dont Corinne Narassaguin est membre depuis deux ans) la participation ne dépasse pas 10%. Du coup, dit-elle, “c’est notre capacité à mobiliser notre électorat qui fera la différence”, grâce, espère-t-elle, à une campagne de proximité où elle part à la rencontre de “ces Français d’Amérique du Nord qui sont plus divers qu’on ne le pense,” socialement et politiquement. Comme les autres candidats, elle met en avant les questions censées être particulièrement importantes pour les Français expatriés: assurance santé, retraite, mobilité, éducation. Et c’est sans doute sur cette dernière que la candidate du Parti Socialiste marquera le plus nettement sa différence: elle est la seule des principaux candidats déclarés à se dire opposée à la prise en charge des frais de scolarité.
Cette mesure promise par Nicolas Sarkozy en 2007 était censée offrir la gratuité de la scolarité aux élèves français dans les établissements reconnus (type Lycée Français). Pour l’instant, seuls les classes de Seconde, Première et Terminale sont concernées. “ C’est une erreur terrible. Dès le début, nous savions que c’était une promesse intenable, même avant la crise. Cette mesure coûte beaucoup trop cher et on pourrait objecter qu’elle a été mise en place sans contrôle des frais de scolarité remboursés, qui ont augmenté depuis 2007”. Soulignant que les familles bénéficiant de cette gratuité sont celles qui auront pu payer jusqu’à la Troisième, elle préfère prôner “l’utilisation plus intelligente des bourses” et promouvoir des alternatives au Lycée Français. Position politiquement risquée? “Je ne peux pas défendre en bonne conscience une mesure comme celle-là, dit-elle. Et je constate que, même dans les Lycées Français, beaucoup de parents voient les injustices de ce système!”
De conférences en ligne en “banquets républicains”, la candidate socialiste poursuit son marathon électoral pour convaincre les Français d’Amérique. Avec une conviction: malgré sa campagne “high-tech et créative”, l’essentiel se jouera sans doute ailleurs, et notamment lors de l’élection présidentielle. «On a de fortes chances si François Hollande gagne».
Propos recueillis par Alexis Buisson et Emmanuel Saint-Martin