En entrant dans les couloirs surchauffés de mon hôtel à Bakou, où le thermostat frôlait les 27 degrés en plein mois de novembre, un paradoxe frappant s’imposait : cette ville, hôte de la récente COP29 (Convention des Nations unies sur les changements climatiques), semblait encore bien éloignée de l’urgence climatique. Les terrasses des restaurants étaient chauffées à ciel ouvert, certains moteurs des voitures ronronnaient inutilement, et les sacs en plastique, omniprésents, témoignaient d’une relation encore distante avec les questions environnementales. Pourtant, la tenue de cette conférence dans un état pétrolier comme l’Azerbaïdjan n’était pas dénuée de sens. Elle reflète parfaitement les contradictions d’un monde en quête de solutions climatiques dans une économie toujours dépendante des énergies fossiles.
Pour Bakou, la COP29 a été une vitrine. De nouvelles pistes cyclables, peintes à la hâte avant l’événement et encore peu fréquentées, en témoignaient. Mais au-delà de cette façade, des discussions avec les habitants révélaient un début de prise de conscience. « La mer Caspienne baisse de plus de 20 cm par an, me confiait un pêcheur local. On le voit, on le vit ». Ce recul alarmant, dû à la combinaison des barrages sur la Volga et du réchauffement climatique, menace un écosystème fragile. Le phoque de la Caspienne, dont on comptait un million d’individus au début du XXe siècle et dont la population a diminué de 90% depuis, est désormais classé comme « en danger ». La COP, malgré ses imperfections, a au moins mis ces enjeux sous les projecteurs.
Avec ses 70 000 visiteurs, la COP29 a attiré presqu’autant de participants que l’édition précédente à Dubaï. Certains dénoncent le coût environnemental de tels rassemblements, d’autres le comparent à des salons mondains et réunions de lobbyistes. Pourtant, ces conférences servent à bien plus qu’à de simples échanges de cartes de visite. Elles sont le seul espace où gouvernements, scientifiques, entreprises et société civile se rencontrent pour débattre de l’avenir. Comme me le rappelait Kevin Magron, ambassadeur climat pour la France, « c’est le seul outil multilatéral existant. »
Les jeunes y ont aussi fait entendre leur voix. Jiangcheng Huang, 7 ans, évoquait le déclin des papillons qu’il voyait dans son jardin quand « il était jeune » (3 ans), tandis que Fareed Mohammed Feremban d’Arabie Saoudite, 9 ans, participait à l’Appel de la jeunesse mondiale. Ces enfants, bien que trop jeunes pour voter, portent déjà un message puissant : la nécessité d’un avenir différent. Thanh Theerapasiri, 12 ans, avec son projet SEEDS sur les solutions quotidiennes, incarne cette génération qui refuse de subir l’inaction.
L’Azerbaïdjan, comme d’autres pétro-États, tire encore 90% de ses exportations de ses ressources fossiles – en 1900, Bakou représentait la moitié de la production mondiale de pétrole. Mais ce n’est que le 23e producteur mondial d’hydrocarbures. Le Brésil est le 8e et sera l’hôte de la COP30 en 2025. Ce modèle économique repose sur une consommation effrénée que les COP cherchent à ralentir. Pour Shantal Munro-Knight, ministre de l’Environnement de La Barbade, la COP29 devait concrétiser les promesses financières pour réduire les combustibles fossiles.
Si un accord a été obtenu pour mobiliser 300 milliards de dollars par an à partir de 2035 en faveur des pays en développement menacés par le changement climatique, il reste loin des 1,3 trillion nécessaires pour maintenir l’objectif des 1,5 °C défini à Paris en 2015. L’engagement pour réduire les combustibles fossiles était également faible. Parallèlement, des voix comme celle du professeur Hugh Hunt, de l’Université de Cambridge, appellent à intégrer la géoingénierie (notamment la gestion du rayonnement solaire) dans les discussions. « Il est naïf de croire qu’une simple réduction des émissions suffira », m’expliquait-il. Mais cette perspective divise, tant elle soulève des craintes sur les risques et les incertitudes des manipulations climatiques. Sans parler de la tendance au techno-solutionnisme qui peut encourager l’inaction à la source du problème : les émissions dues aux énergies fossiles.
L’Azerbaidjan, c’est aussi le Caucase. Le professeur Chris Stokes de Durham University qui a étudié les glaciers du Caucase (Arménie, Géorgie, Azerbaidjan), essentiels pour l’agriculture et l’hydroélectricité, souligne que ceux-ci fondent rapidement, avec une perte annuelle de 2 %. Si cette tendance continue, la majorité disparaîtra d’ici la fin du siècle, augmentant les risques de catastrophes glaciaires et humaines. Même avec de faibles émissions, jusqu’à 50% seulement pourraient être préservés, rappelant « qu’on ne négocie pas avec le point de fusion de la glace. »
Au cœur des débats, les petits États insulaires ont plaidé pour leur survie. Clarence Samuel et Bertine Lakjohn, des Îles Marshall, que j’avais rencontrés à Majuro pendant le tournage de notre film « Après le Déluge » en 2022, rappelaient que la montée des eaux n’est plus une hypothèse pour eux, elle est leur réalité quotidienne. Uili Lousi, du royaume de Tonga, soulignait l’impact du réchauffement sur la migration des baleines à bosse, symboles d’un océan en détresse.
Face à ces défis, la France a tenté de porter des idées fortes : calendriers clairs pour sortir des énergies fossiles, garanties sur la qualité des crédits carbone (ceux-ci ont régulièrement des effets néfastes sur les populations concernées : déplacement de population Masaï en Tanzanie pour créer des zones entièrement « vertes ») et opposition aux pratiques néocoloniales. Mais comme souvent, les négociations se heurtent aux intérêts divergents des grandes puissances.
Lors de la COP, les voix autochtones ont aussi trouvé un écho. Le chef d’une communauté de la forêt d’Iwokrama en Guyane plaidait pour une gestion durable des ressources, combinant savoirs ancestraux et sciences modernes. Ces approches locales, souvent ignorées, offrent pourtant des solutions concrètes à des défis globaux.
Stephen Oduware, militant nigérian, réclamait des réparations pour les communautés affectées par l’extraction pétrolière dans le delta du Niger. Une zone où j’ai fait mon premier stage d’ingénieur Centrale en 1977 chez Schlumberger. Déja l’empreinte de l’extraction pétrolière. “La dette climatique doit être réglée immédiatement”, insistait-il, rappelant que les pays en développement paient un prix disproportionné pour des activités qui profitent majoritairement aux nations riches.
Une transformation systémique nécessaire
Comme le soulignait Christian Clawers, un ami de l’Explorers Club de New York et photographe belge, la COP reflète une difficulté fondamentale : changer un système économique fondé sur une croissance infinie. « Le réchauffement climatique n’est pas seulement une crise environnementale, mais un symptôme d’un modèle économique défaillant », m’explique t-il. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, il ne suffit pas d’atténuer les symptômes; il faut redéfinir nos priorités, en plaçant la régénération écologique au cœur de nos actions. Comme le disait l’agriculteur, écrivain et penseur français Pierre Rahbi, le véritable changement ne vient pas d’ajustements au sein du système, mais de la construction d’un nouveau système qui fonctionne en harmonie avec la nature.
Les critiques envers les COP sont nombreuses : manque de décisions contraignantes, empreinte carbone importante, lenteur des progrès. Pourtant, ces sommets restent notre meilleure chance d’action collective. Ils donnent une voix aux sans-voix, mettent en lumière des solutions innovantes et maintiennent la pression sur les gouvernements et les entreprises.
Alors que je quittais Bakou, cette pensée me revenait : certes, les COP sont loin d’être parfaites. Mais sans elles, que nous resterait-il pour affronter la crise climatique ? Si ce monde est un navire en perdition, les COP sont peut-être les dernières balises éclairant notre chemin. Et dans cette lumière vacillante réside l’espoir d’un avenir meilleur.
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À propos de l’auteur : Luc Hardy est un explorateur, photographe, réalisateur et capital-risqueur – à la tête de Sagax – franco-américain du Connecticut. Il a conduit de nombreuses expéditions scientifiques dans des environnements très divers, de la glace polaire aux profondeurs des océans et est membre de l’Explorers Club de New York. Pour le suivre sur les réseaux sociaux Instagram, Facebook, LinkedIn.