Colocataires fantômes ou trop présents, querelles sur le ménage ou le rangement… Si la colocation était déjà pour certain.e.s une épreuve, le confinement lié à l’épidémie de Covid-19 a accentué les tensions et fait naître de nouveaux conflits autour de la sécurité.
Catherine est professeure de Français à Pasadena, à l’est de Los Angeles. Elle vit avec un Américain depuis octobre qui a été rejoint par sa copine en janvier. “Au début ça se passait bien avec lui, moins bien avec elle. C’est pire depuis le confinement car il doit sortir travailler tous les jours. Je ne me retrouve qu’avec ma coloc qui prend beaucoup de place, qui étale ses affaires partout et qui se plaint sans arrêt”. Catherine continue à donner des cours par ordinateur, à la différence de sa colocataire qui ne travaille pas. “Je travaille à plein temps de la maison. Elle s’imagine que je suis toujours disponible pour elle. Si je ne lui demande pas comment elle va et n’écoute pas ses problèmes quand on se croise, c’est le drame”.
Pour Bérénice Boursier-Baudoin, psychologue spécialiste des problèmes liés à l’expatriation, “il est normal de se sentir en situation de peur et de perte de repères face à ce confinement forcé”. La psychologue estime que “la situation de Catherine est difficile à vivre car elle se retrouve seule à vivre avec un couple”. “Elle gagnerait à se rapprocher de sa colocataire pour ne plus être seule”. Parmi ses propositions, “pourquoi ne pas faire une pause café de quelques minutes chaque jour où chacune pourrait évoquer ses problèmes, ou prendre du temps ensemble pour faire une séance de yoga?”.
“Je suis inquiète pour ma santé”
Anne-Sophie, 32 ans, vit en colocation avec deux Américains dans le quartier de Wiliamsburg à New York. Etudiante en peinture, la Française est inquiète étant donné ses antécédents médicaux. “J’ai déjà des problèmes pulmonaires. Je l’ai expliqué à mes colocs mais ils ont répondu que le coronavirus n’était qu’une petite grippe, qu’on était jeune et que ce n’était pas grave si on l’attrapait, et que ça ne servait à rien de rester enfermé chez soi”. Face à la “bêtise” de ses colocataires, la Française avait déménagé provisoirement chez une amie dont l’appartement était libre à Manhattan. Elle est de retour chez elle depuis le début du mois de mai. “Vivement le déconfinement, je ne les supporte plus”.
“Ce cas nous montre qu’il y a une grande différence de culture et d’éducation entre ces trois personnes vivant ensemble et qu’il faut bien choisir les personnes avec lesquelles ont doit vivre tous les jours”, estime Bérénice Boursier-Baudoin. “Je conseillerais à Anne-Sophie de prendre toutes les précautions sanitaires et de chercher une autre colocation rapidement car ces deux jeunes hommes ne changeront pas”.
Leïla partage, elle, une maison divisée sur trois étages avec huit colocataires dans le nord de Londres. “Entre ceux qui sont obligés d’aller travailler, et ceux qui ne respectent pas le confinement, ça rentre et ça sort comme dans un moulin”, explique la journaliste de 39 ans. “Le 24 mars, après seulement deux jours de confinement, ma coloc brésilienne a ramené une amie qui a dormi pendant deux jours à la maison. Mon coloc italien sort lui aussi régulièrement et ne se lave jamais les mains en rentrant. J’en suis à un point où je ne rentre dans la cuisine qu’avec mon produit désinfectant, en nettoyant les poignées de porte. Ça devient une épreuve de manger”. Inquiète pour sa santé, Leïla a également déménagé chez une amie dont le logement est vacant pour quelques jours.
Stéphane*, qui vit également à Londres, se trouve dans la situation inverse. Infirmier à son compte, le Français de 32 ans continue à travailler de nuit à l’extérieur. Des déplacements qui suscitent l’incompréhension de sa colocataire. “Etant donné que c’est ma boîte, elle pense que je pourrais faire autrement, et imagine que je sors pour le plaisir. Mais si je restais à la maison, je n’aurais plus de salaire”. Sa colocataire a décidé de lui rendre coup pour coup. “Elle a décidé d’en faire autant, de sortir et d’inviter des gens à la maison. Elle ramène surtout des mecs. C’est le défilé…”, lâche-t-il.
Pour Bérénice Boursier-Baudoin, “ce problème de vengeance et d’enfantillage peut avoir des conséquences importantes sur la santé de chacun des deux colocataires“. La psychologue parle d’une attitude “grave” et invite Stéphane à crever l’abcès dès que possible avec sa colocataire. Dans le cas de Leila, qui vit avec huit personnes, “il faut faire une réunion ensemble et mettre en place de nouvelles règles de vie « spécial confinement » sur un tableau et le faire respecter par tous”, estime la spécialiste.
“En parlant, j’ai peur d’aggraver le problème”
Catherine aimerait beaucoup amorcer une discussion avec sa colocataire, mais avoue ne pas oser se lancer car “si je n’utilise pas les bons mots, ça peut empirer et on ne pourra pas s’éviter”. Leïla et Stéphane partagent les mêmes blocages. “En parlant, j’ai peur d’aggraver le problème”, confie la journaliste un peu désespérée. “Et puis mes colocs ont plus de 30 ans. Ce n’est pas maintenant que je vais les changer”. Stéphane estime quant à lui devoir prendre sur lui pour ne pas que la situation se détériore. “On s’entendait plutôt bien à la base. J’aimerais juste qu’elle respecte d’elle-même les règles”.
“C’est à vrai dire toujours le même problème, un manque de communication ou une mauvaise communication, et la peur d’être mal perçu”, explique Bérénice Boursier-Baudoin. “Mais nous vivons une situation particulière avec le même ennemi invisible : le Covid-19. Si certains ont du mal à réaliser qu’ils peuvent l’attraper -car ça n’arrive qu’aux autres- nous sommes tous dans la même galère, et il y a des règles d’hygiène et sécurité qui ont été mises en place, que nous devons tous appliquer et faire respecter”.
Le confinement peut aussi créer des liens
Le colocation au temps du Covid-19 n’est pas le bagne pour tout le monde. Expatriée dans le Art District à Los Angeles, Lucie partage son appartement avec son mari et deux autres colocataires. Elle explique s’être rapprochée d’eux depuis un mois et demi. “On passe plus de temps ensemble vu qu’on est tous les quatre à la maison. On se croise à la cuisine, on boit un verre, on discute, on prépare des plats. Ça se fait de façon naturelle”. Conscients de traverser un moment difficile ensemble, les quatre colocataires n’hésitent pas à s’entre-aider. “On n’a pas de voiture avec mon mari, alors nos colocataires nous proposent de faire nos courses. C’est appréciable de pouvoir compter sur eux. Globalement, on se sent privilégiés de ne pas être seuls et isolés”.
Pour Bérénice Boursier-Baudoin, Lucie et ses colocataires font preuve d’intelligence émotionnelle. “Ils ont compris qu’ils devaient compter les uns sur les autres et qu’ils partageaient le même problème, très conscients qu’ensemble on est plus fort”.
*Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat de la personne.