En cette ère de levée de fonds à donner le tournis, Glose ne faisait guère causer. La startup de Nicolas Princen, avait levé un maigre 3 millions de dollars et était bien loin des “licornes” qui font rêver les défenseurs de la “startup nation”. Mais voilà: au début de l’année, le fondateur a vendu son entreprise à Medium, une star de la Silicon Valley, fondée par Ev Williams, ancien co-fondateur de Twitter. Depuis, l’histoire de la plateforme de lecture Glose s’écrit comme une success story.
La pandémie a changé bien des choses et notamment ceci: dans ce nouveau monde, pas besoin de traverser l’Atlantique pour faire un deal en dizaines de millions de dollars (le montant exact de la vente de Glose à Medium est confidentiel). Tout s’est fait à distance donc. Mais si Nicolas Princen n’a pas franchi l’Atlantique depuis un an désormais, il connaît très bien les États-Unis, pour y avoir terminé ses études puis vécu et développé Glose, dès 2015.
C’est en effet après un stage à New York, où il a analysé l’impact d’Internet dans les campagnes politiques américaines, que Nicolas Princen est appelé par le candidat Nicolas Sarkozy pour s’occuper de sa campagne numérique. « C’est la première campagne où Internet a eu un rôle important en France, que ce soit avec les débuts de la vidéo en ligne, ou l’émergence des réseaux sociaux et la possibilité pour une campagne de construire son propre média ». Une fois élu, Nicolas Sarkozy le nomme Monsieur Internet de l’Élysée, en charge de surveiller la diffusion d’informations sur le chef de l’État. Il est surnommé le « cyber-espion » du Palais, mais il est en réalité surtout un conseiller sur l’économie numérique, et organise le premier e-G8, un sommet qui emporte un large succès avec la présence de Mark Zuckerberg et Larry Page. Mais l’entrepreneuriat le rattrape : “j’étais déterminé à construire des choses, des produits qui répondent à des besoins importants, et qui puissent avoir un impact à l’échelle du monde“.
Dès 2010, il commence à réfléchir à ce que la rupture technologique va apporter à l’éducation, et à la révolution du savoir. Après la musique, il réalise que d’autres contenus culturels vont être “disruptés”, notamment le livre. Il imagine un support où le livre serait une véritable expérience, que l’on pourrait partager avec des membres de sa communauté. Le concept est né. Nicolas Princen nomme son entreprise Glose, terme issu de la linguistique (qui signifie annoter, commenter un texte dans la marge pour expliquer un mot rare ou difficile).
Il recrute trois personnes à Paris, qui travaillent sur une application de lecture améliorée depuis son salon. Et pendant ce temps, Nicolas Princen s’envole vers les États-Unis et passe deux ans à New York à pitcher les éditeurs américains. “Il fallait les convaincre de nous confier leur catalogue de livres numériques alors qu’aux Etats-Unis personne ne nous connaissait et que la plateforme était en cours de construction sur la table de mon salon à Paris où travaillent nos développeurs. Mais on savait que si on arrivait à convaincre un des “Big 5” éditeurs mondiaux aux Etats-Unis, on serait regardé autrement et les autres éditeurs suivraient“. Il décroche un premier contrat avec Hachette US, et surtout avec la célèbre maison d’édition Penguin Random House, en 2014.
Glose lance son produit l’année suivante sur iOS : un outil amélioré (comprendre, mieux qu’un Kindle) pour acheter et lire un livre sur tous les supports, mais aussi un réseau social pour connecter les lecteurs entre eux, et créer des conversations entre personnes qui lisent le même livre. Pour atteindre le grand public américain, qui de mieux que Barnes and Noble à l’époque ? La petite start-up française frappe un grand coup en signant un partenariat avec le géant américain de la librairie en 2016, qui intègre Glose dans son outil de lecture Web et lui ouvre la porte à des millions de lecteurs.
Mais Nicolas Princen a une ambition plus large que la lecture, celle de mieux transmettre le savoir. « A l’origine, on voulait un produit pour l’éducation mais à l’époque le secteur Ed-tech était encore inexistant. Donc nous avons d’abord créé un pur produit grand public (B-to-C) en espérant que les professeurs finissent par l’adopter. C’est ce qui s’est passé ». Les éducateurs deviennent même les premiers utilisateurs de la plateforme. Si bien qu’en 2017, le groupe passe à une stratégie multi-produits, et crée Glose Education comme plateforme séparée, qui peut prendre en compte plus de contraintes.
La suite est celle que l’on connaît : début 2021, Glose passe dans le giron de Medium. En réalité, Nicolas Princen était déjà en contact avec Ev Williams, le fondateur de Medium, depuis 2014. « Nous avons le même objectif, mettre le numérique au service de la lecture pour permettre un partage plus large des histoires et savoirs, et faciliter les conversations qui aient du sens ». Glose devient aujourd’hui la filiale livre de Medium. Basé à Paris, Nicolas Princen a une double casquette : il est en train de développer l’offre livre pour le groupe américain, avec une équipe dédiée de journalistes à New York pour enrichir le contenu. Et est aussi vice-president en charge de la zone EMEA de Medium. Avec une audience de près de 200 millions de lecteurs par mois, il peut désormais avoir les moyens de ses ambitions : un futur plus connecté et plus érudit.