C’est une prouesse à la fois technique et scientifique qui vient d’être dévoilée au SLAC National Accelerator Laboratory de Stanford : la caméra LSST (Legacy Survey of Space and Time) est la plus grande caméra numérique jamais construite, et elle sera installée d’ici à la fin du mois à l’observatoire Vera Rubin au Chili.
Pendant dix ans, cette caméra va prendre chaque jour environ 800 clichés du ciel de l’hémisphère sud, afin d’étudier et cartographier en 3D l’Univers observable dit « statique » et surveiller les phénomènes célestes dits « transitoires ». Chacun de ces clichés sera d’une surface équivalente à 40 fois celle de la Lune. « Cette caméra pèse près de 2,8 tonnes et est dotée de 3,2 milliards de pixels, qui permettront de prendre des images du ciel d’une qualité jusqu’ici jamais atteinte. Elle permettra ainsi d’observer des objets astronomiques à très faible luminosité, donc très lointains », explique Aaron Roodman, professeur au SLAC National Accelerator Laboratory et deputy director de l’observatoire Rubin. Autant de superlatifs qui valent à la LSST d’être désormais inscrite au livre Guinness des Records.
Ce projet d’envergure aura mis plus de vingt ans à voir le jour, et aura mobilisé de nombreux scientifiques, au premier rang desquels on trouve plusieurs laboratoires français du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), comme l’explique Johan Brégeon, chargé de recherches au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble, et responsable scientifique du projet Rubin LSST en France. « Une dizaine de laboratoires du CNRS ont mis leurs forces en commun pour développer l’électronique des capteurs et la mécanique de changement des filtres, précise le scientifique. Le SLAC et le CNRS ont des liens très forts depuis des décennies, et nous sommes reconnus pour notre expertise et nos méthodes de travail. »
Les capteurs CCD (charge-couple device) captent chaque grain de lumière et le transforment en électricité. La distribution de la charge électrique en fonction du nombre de photons représente ce qu’on voit dans le ciel. Plusieurs filtres seront en effet nécessaires afin de voir des étoiles à différentes longueurs d’ondes. « Quant aux filtres, ils mesurent chacun 60 centimètres de diamètre, et pèsent près de 30 kilos. Ils doivent être positionnés avec une précision de 300 microns, et en moins de 90 secondes . Sur les 10 ans de ce projet, les filtres seront changés environ 100 000 fois. »
La construction de la LSST est l’aboutissement de plus de vingt ans de travaux : « Les premiers grands relevés du ciel ont commencé au début des années 2000. Nous avons depuis travaillé à définir l’instrument idéal qui nous permet de voir de très petits objets dans un grand morceau de ciel, puis à démontrer que le projet serait réalisable dans une vingtaine d’années grâce aux avancées technologiques. Il ne restait plus qu’à trouver les fonds nécessaires pour financer ce projet, que la France a rejoint dès 2002. », explique Johan Brégeon.
Cette cartographie du ciel sera le plus grand catalogue de données sur l’univers jamais réalisé. En plus des images de plus de 17 milliards d’étoiles et 20 milliards de galaxies observables, les données serviront à étudier l’énergie sombre, identifiée comme le moteur de l’expansion accélérée de l’univers, et la matière noire, qui à elles deux constituent plus de 95% du cosmos. Les premières images sont attendues au printemps 2025.