Une page se tourne dans le milieu du cinéma français aux États-Unis. Adeline Monzier, la représentante d’Unifrance sur le sol américain, quitte l’organisme de promotion du septième art hexagonal à l’international ce lundi 30 septembre après onze ans de bons et loyaux services. Remplacée par Anne Takahashi, fondatrice de l’agence de relations publiques TAKA PR, elle se consacrera à d’autres activités à titre indépendant, comme la programmation du Metrograph, le cinéma d’art et d’essai du Lower East Side à New York, et à des projets pédagogiques liés à l’image.
« C’était une décision difficile à prendre car j’ai mis beaucoup d’affect dans ce poste qui m’a enthousiasmée. J’ai l’impression d’avoir vécu ces onze dernières années par et pour le cinéma français et les artistes qui le composent, confie-t-elle. Mais après autant de temps, j’avais le sentiment d’avoir fait le tour. J’ai porté les idées que je voulais. Maintenant, c’est à quelqu’un d’autre d’en développer de nouvelles ».
Adeline Monzier travaillait pour une société de distribution quand elle est arrivée à New York, où son conjoint devait effectuer un post-doc. Elle a commencé à Unifrance à mi-temps. Avant son recrutement, l’organisation avait réduit la voilure aux États-Unis, passant de « cinq-six employés sur la 5e Avenue dans les années 1990 à deux puis un », se rappelle-t-elle. La charge de travail, elle, est restée soutenue. La Française était notamment responsable, avec Florence Almozini, la programmatrice-cinéma du Lincoln Center, d’organiser « Rendez-vous with French Cinema », un grand festival annuel dédié au cinéma français en présence d’acteurs et de réalisateurs venus de l’autre côté de l’Atlantique.
Elle se félicite d’avoir modernisé cette institution, qui fêtera ses trente ans l’an prochain, en « resserrant la programmation et en mettant en avant une nouvelle génération de réalisateurs » auprès du public new-yorkais. Cela s’est traduit par la mise en place d’un prix attribué par un jury d’étudiants à un cinéaste émergent, l’organisation de « masterclasses » d’artistes français dans les universités de la Grosse Pomme et la tenue de projections pour les collégiens et les lycéens.
En marge de « Rendez-vous », Unifrance a également lancé une journée de rencontre entre professionnels français et américains du secteur pour favoriser la distribution d’œuvres aux États-Unis. « Quand j’ai commencé à travailler sur le festival, le public était très établi, âgé, blanc, CSP+. Remplir les salles n’était pas un souci, se souvient-elle. Mais nous avions l’ambition de montrer aux New-Yorkais que le cinéma français ne se limitait pas à la Nouvelle Vague et à des acteurs confirmés, mais qu’il était aussi éclectique, diversifié et ouvert sur le monde par le biais des co-productions ».
Ces dernières années, les festivaliers ont ainsi découvert le travail d’Alice Diop (« Saint Omer »…), Céline Sciamma (« Portrait de la jeune fille en feu », « Bande de filles »), Ladj Ly ( « Les Misérables »), Rachid Hami (« Pour la France »). Sur les vingt-et-un longs-métrages montrés lors de l’édition 2024, plus de la moitié a été réalisée par des femmes et huit étaient des primo-réalisations, d’après le Lincoln Center. « Quand je vois les salles du festival aujourd’hui, elles sont très différentes d’il y a dix ans. Le public traditionnel, friand du cinéma d’auteur, a continué à venir (…) mais nous avons aussi conquis une population nouvelle, plus large », se félicite-t-elle.
Adeline Monzier reconnaît que la promotion des œuvres tricolores aux États-Unis n’est pas chose aisée. « Même en travaillant beaucoup, c’est un territoire extrêmement compliqué. On a peu de parts de marché, 2-3% », rappelle-t-elle. Elle se félicite toutefois du succès de films récents « qui ont montré la diversité des voix et renouvelé l’image » de la France : « Portrait de la jeune fille en feu », « Anatomie d’une chute », « Les Misérables »… Beaucoup sont le fait de femmes ou de cinéastes non-blancs.
La cinéphile entend continuer à accompagner cette « vague » dans sa nouvelle vie professionnelle. Au Metrograph, elle prévoit de mettre en avant le travail d’Alice Diop en novembre. Comme consultante, elle aidera la société de production d’Agnès Varda, Ciné-Tamaris, à développer un projet éducatif inédit aux États-Unis : la mise à disposition de différents établissements scolaires des rushes du film « Les glaneurs et la glaneuse » pour que les élèves puissent les utiliser dans des courts-métrages. L’initiative est soutenue par Netflix et la Film Foundation de Martin Scorsese notamment, indique-t-elle.
Et elle reprendra Uptown Flicks, les projections mensuelles de films français à Harlem lancées en 2018 avec son amie Marie Gentine, à la fin octobre. « Le cinéma ne change peut-être pas des vies, mais je crois en sa capacité à créer une ouverture sur des cultures et des mondes que nous ne connaissons pas ».