Les flacons “robe corset” de Jean-Paul Gaultier ou coniques d’Issey Miyake vous font rêver? Le nom qui est derrière ces oeuvres design sans doute moins: Beauté Prestige International (BPI). «Personne ne connaît», avoue Patrice Béliard, le Président du groupe français pour les États-Unis. Il s’en amuse presque: «et c’est très bien comme ça. Ce qui compte, ce sont les grands noms de la haute couture que nous représentons.» En réalité, BPI est très connu des professionnels du luxe: c’est une filiale de la plus ancienne Maison de cosmétiques au monde: le japonais Shiseido, qui fêtera ses 140 ans l’an prochain.
Français, aux États-Unis, à la tête d’une filiale d’un grand groupe nippon: la situation ravit Patrice Béliard. «Je me sens 100% français, mais avec un goût pluriculturel» résume-t-il. Il lui est pourtant difficile de citer son pays natal. Patrice Béliard est certes né à Paris, il y a 38 ans, mais il a vécu les douze premières années de sa vie entre le Mexique, le Brésil et le Canada, au gré des nominations de son père, Jean, ancien résistant et ambassadeur de France, décédé l’an dernier. Sa carrière professionnelle est à l’image de son enfance: faite de voyages. Après l’école de commerce ESCE, une coopération à Londres et un premier poste à Paris chez Hermès, il entre dans le groupe Shiseido en 2000 comme sales manager pour BPI. Il sera nommé successivement à Miami, à Tokyo et à Milan, avant de revenir aux États-Unis pour prendre la tête de BPI USA à New York au printemps dernier. «Avoir baigné, dès mon plus jeune âge, dans le mélange des cultures m’a ensuite aidé à m’adapter, à mieux appréhender les différences».
Parfum et moeurs japonaises
Un atout pour comprendre les relations entre Shiseido et la France. C’est à Paris que la célèbre Maison de luxe a choisi d’établir, il y a 20 ans, le siège de sa branche parfums. «Cela semblait évident pour le groupe. Notre pays avait toutes les qualités pour devenir le centre créatif et de production.» Le parfum n’était pas – et n’est toujours pas – entré dans les mœurs nipponnes. «Les Japonais utilisent le parfum comme un accessoire qui complète une tenue. Une femme habillée en Jean-Paul Gaultier achèvera sa tenue par un parfum Gaultier». Rien à voir avec la conception européenne du parfum révélateur de la personnalité de son usager. Au début des années 90, Shiseido a donc fait construire une usine à Gien, dans le Loiret, pour fabriquer tous ses produits à base d’alcool (parfums, eaux de parfum, eaux de toilette), et, à une heure de voiture de là, à Ormes, une seconde usine pour la recherche et la création des produits cosmétiques dérivés. BPI a été créé dans la foulée pour la distribution des parfums, avec une première licence, L’Eau d’Issey, d’Issey Miyake. Suivront des accords signés avec Jean-Paul Gaultier en 1993 et Narciso Rodriguez dix ans plus tard, une marque américaine en bonne place dans un marché hispanique en pleine expansion; enfin, Elie Saab en 2008. Et singularité du marché américain: BPI distribue également les parfums Hermès et Annick Goutal. En tout, six grands noms du luxe qui placent la filiale de Shiseido en tête de la parfumerie “sélective”.
La filiale américaine que dirige Patrice Béliard génère 15% du chiffre d’affaires global avec ses 70 employés (sur les 600 de BPI) et ses 2.200 points de ventes (Macy’s, Bloomindale’s, Saks ou encore Sephora). Une distribution restreinte, propre aux produits de luxe. «Nous sommes très vigilants, notamment pour lutter contre le marché “gris”, notre ennemi numéro un ici». Tous les produits sont codés afin de détecter ces ventes par des canaux de distribution non autorisés par BPI. « Les États-Unis représentent un marché très complexe. Ce n’est pas un, mais des pays, et il y a une multitude d’acteurs » explique Patrice Béliard. Les coûts opérationnels y sont très élevés (multipliés par deux dans chaque point de ventes car deux départements distincts hommes/femmes); les budgets publicité cinq fois plus élevés, les trois quarts passant en pub olfactive dans la presse papier; et la concurrence féroce, avec notamment l’omniprésence des marques de célébrités. « J’ai ainsi découvert le phénomène Justin Bieber” raconte Patrice Béliard avec humour. « Mes quatre enfants n’ont pas encore l’âge d’être fans du jeune chanteur… », l’ainée n’a que 8 ans.
Les États-Unis forcent à s’adapter et à se développer vite, un rythme que n’a pas toujours su adopter Shiseido dans le choix de ses réseaux de distribution. Développer l’e-commerce: BPI ne possède pas encore de site d’achat en ligne, « ce n’était pas une priorité jusqu’à présent ». Le téléachat? « On y pense… c’est une vraie réalité aux États-Unis ». Car si les parfums des grands créateurs marchent bien à New York, Los Angeles, Miami et Chicago, ils sont méconnus de l’Amérique des petites villes. «Nous recherchons aussi de nouvelles marques à distribuer». En 2016, BPI perdra la licence Jean-Paul Gaultier, rachetée par le groupe catalan Puig. Le départ d’une marque phare: Le Male est aujourd’hui au top 10 des parfums pour hommes aux États-Unis. En attendant, Patrice Béliard promet avec enthousiasme «de grosses nouveautés» pour l’an prochain. Dans le monde des parfums, il faut savoir rester zen…
Crédit photo: Anthony Behar/Sipa