En un pluvieux après-midi de mai, Stéphanie et Jesse, deux danseurs de la compagnie Graham II, répètent un duo qu’ils présenteront le 12 juin au Joyce Theater. Le lecteur de disque sur les genoux, Virginie Mécène observe leur travail, et se déclare bientôt insatisfaite.
«Il faut plus de hanches, là!» lance-t-elle aux danseurs. Ce duo, extrait d’American Document, une pièce de 1938, a été décrit comme érotique par les critiques de l’époque et c’est ainsi que la directrice entend le reconstituer.
«C’est ce que j’aime dans les répétitions, ajoute-t-elle, quand la danse prend forme sur les danseurs.» Cette petite femme de 45 ans aux manières douces dégage à la fois volonté et sérénité.
Originaire de la banlieue parisienne, Virginie Mécène est arrivée à New York en 1988, à 21 ans, son baluchon sur le dos. Reculant d’année en année le moment de son retour vers la France, elle a persévéré dans les rangs de l’école puis du Graham Ensemble (l’ancien Graham II) avant de gagner sa place dans la compagnie à 28 ans.
Les premières années à l’école, la jeune Française gagnait sa vie grâce à des petits boulots que son statut d’étudiante ne lui autorisait pas forcément. Une même année, elle a déménagé sept fois avant de trouver un logement décent. «J’ai failli craquer plusieurs fois et rentrer en France, reconnaît-t-elle. Ma famille me manquait et Skype n’existait pas à l’époque !»
Encore en France, Virginie imaginait les élèves de Martha Graham tous vêtus de noir et fidèles à la discipline comme un bataillon de jeunes officiers. Une fois sur place, elle s’est vite rendu compte qu’elle n’était pas loin de la réalité.
«C’était encore la vieille école, les professeurs nous criaient toujours « non, non, non », se souvient-elle, amusée. Mais j’étais justement venue pour ça : plus on me disait non, plus je fonçais.» De Graham, qui décéda en 1991, elle se rappelle ses « hello ! » pêchus, ainsi que son regard noir et perçant qui avait la faculté de «vous mettre à nu».
Surtout, Virginie a tout de suite accroché avec la danse de Martha Graham, et ne cesse de le répéter aujourd’hui, «c’est une technique magnifique, et les thèmes des pièces restent très contemporains.»
Une directrice attentive
Spécialisée dans l’apprentissage d’une technique de danse créée dans les années 20 par Martha Graham, cette école, comme d’autres établissements renfermant la tradition de la danse moderne américaine, a vu sa longévité plusieurs fois menacée.
Depuis sa prise de poste il y a trois ans, après avoir dansé 12 ans dans la compagnie, Virginie Mécène l’a reprise en main. Elle a introduit des classes d’été intensives pour adolescents et diversifié le programme professionnel, y ajoutant des cours d’anatomie, de théâtre et de portés, afin de doter ses élèves d’une solide formation.
Elle a également ouvert le studio à des chorégraphes extérieurs, qui viennent créer des pièces pour ses élèves. « Cela ouvre l’horizon aux élèves qui constatent toutes les possibilités que leur offre leur formation, explique-t-elle, et les chorégraphes apprécient leurs qualités de danseurs Graham ».
Cette saison au Joyce, la seconde compagnie Graham II (formée des jeunes espoirs de l’école) et un groupe d’adolescent de l’école sont au programme en même temps que la compagnie Martha Graham.
Sous la direction de Virginie, la représentation est une histoire de famille ou n’est pas. «C’est important de donner à tous les élèves l’occasion de danser sur scène, déclare-t-elle. Il faut être réaliste, tous n’évolueront pas dans la compagnie, où les places sont chères. Alors je veux leur donner le plus d’opportunités, comme danser ou enseigner.»
Rares sont les directrices à se soucier du CV de leurs danseurs ou de leur vie artistique après leur formation. Les élèves enrôlés dans les cours de pédagogie pour instruire la technique Graham ont ainsi l’occasion d’enseigner l’été dans les classes pour adolescents.
Virginie aime bien savoir ce que ses anciens élèves deviennent et leur donner un coup de pouce. «Souvent, s’ils ont besoin d’un espace pour répéter une pièce à eux, on leur prêtera un des petits studios.»
À la fin de la répétition, Jesse se bloque le dos, un nerf coincé sans doute. Un bon bain chaud avec du sel est le remède que lui prescrit Virginie. «J’essaierai dès ce soir», rigole le danseur crispé par la douleur. La petite équipe quitte le studio se remémorant les progrès de la séance.
«J’ai appris beaucoup dans cette école, et aujourd’hui j’ai envie de donner en retour, confie Virginie, qui a regagné son bureau. Alors, je les pousse tous les jours. Et ils travaillent énormément. Jesse danse de temps en temps avec la compagnie et je souhaite que Stéphanie fasse de même.»
Du 8 au 13 juin au Joyce Theater, la compagnie Martha Graham présentera quatre différents programmes, contenant les pièces suivantes : American Document, Dance is a Weapon, All-City Panorama (dansée par les adolescents de l’école), Appalachian Spring, Lamentation. Billets de 10 à 59 dollars. Réservations au 212 242 0800 ou joyce.org. Joyce Theater box office : 175 Eight Ave at 19th Street, du lundi au dimanche, 12pm à 6pm.