« Il faut qu’on fasse du vin qu’on aime. » Pour Frédéric Bouché, viniculteur de père en fils depuis cinq générations, voilà la clé du succès. « Et si jamais l’entreprise ne marchait pas, on s’est dit qu’on aurait du vin à boire », s’amuse-t-il, citant sa femme Joanna.
Quand ils se sont installés dans les Finger Lakes il y a 25 ans, Frédéric Bouché et son épouse n’avaient pas l’intention de produire du vin. Pourtant, le dimanche 22 septembre, le couple célèbre le centenaire de Maison Bouché, l’établissement vinicole créé par son arrière grand-père en Normandie. La fête aura lieu à Ports of New York, la “winery” américaine de Frédéric et Joanna Bouché.
Fruit d’opportunités et d’un destin familial, Ports of New York a vu le jour en 2003 à Ithaca, au bord du lac Cayuga. « Les gens nous ont pris pour des fous, se rappelle Frédéric Bouché. Ils ne connaissaient pas notre histoire, ne savaient pas que mon arrière-arrière- grand-père faisait déjà du vin ».
Dès le début de l’aventure, le couple s’est spécialisé dans le vin fortifié, obtenu par l’ajout d’alcool aux raisins pressurés avant ou pendant la fermentation. Un savoir-faire que Frédéric Bouché a reçu en héritage. Pourtant, le jeune adulte qu’il était n’avait pas emprunté le même chemin que ses aïeux. Lui et sa femme Joanna se sont rencontrés à Paris. Il était artiste et sortait de l’École Supérieure des Arts Modernes, elle était danseuse, et arrivait tout droit de Brooklyn. Très vite, ils se sont marié et ont voyagé beaucoup. Il a exposé ses installations artistiques aux quatre coins du monde. Sa femme, universitaire, a accepté successivement des postes qui les ont amené à Boston, New York puis à l’université Cornell, à Ithaca, en 1994.
En arrivant dans la région des Finger Lakes, le couple décèle son potentiel. « Je me suis dit que c’était une région de viticulture, prolifique en fruits depuis le XIXe siècle, précise-t-il. « Au début de la révolution industrielle, beaucoup d’usines à jus se sont installées pour faire des jus et du cidre. En 1970, ces entreprises sont parties en Californie et les producteurs de fruits ont voulu faire du vin. Ils n’en avaient jamais fait, et ils commençaient avec du raisin pas vraiment idéal. Ils ont fait du vin sans risque, très sucré. Et une petite synergie de tourisme a commencé », raconte Frédéric Bouché.
Le « New York Wine Farm Act » de 1976 et une série de mesures viennent faciliter la production de vin à New York. Le marché se développe. 2005 marque un tournant. L’arrêt Granholm v. Heald autorise les producteurs à exporter leur vin à l’extérieur de l’Etat. « Les winery ont pris ça au sérieux et ont commencé à faire venir des raisins européens. Ils sont passés à une étape supérieure, ils ont voyagé, ils ont appris. Et maintenant, il y a de plus en plus de vins spectaculaires », précise Frédéric Bouché.
A cette législation favorable s’ajoute la fermeture de la maison de vin du père de Frédéric Bouché, quelques années plus tôt en France. « On s’est retrouvé avec beaucoup d’objets ». Ils achètent un terrain et construisent un bâtiment. « J’ai pris ça comme une nouvelle entreprise artistique ».
Le couple a pris son temps pour obtenir le vin de ses rêves. « On est très spécifique sur ce qu’on aime », assure Frédéric Bouché. S’ils ont entamé le processus de production dès 2006, la première bouteille n’est vendue qu’en 2010. Le vin est fabriqué « à la française ». « Au début, on pensait utiliser un Bourbon pour faire un produit américain. Mais il n’était pas autorisé de mélanger un alcool qui n’était pas fait avec le même fruit. On est retourné à une méthode tout à fait française et utilisé un cognac », raconte Frédéric Bouché.
Il fait le pari de séduire avec son savoir-faire français et son histoire, que les visiteurs découvrent lorsqu’ils visitent Ports of New York. « J’ai apparemment encore un accent, les gens adorent ça. On a notre petit musée de notre équipement historique en France, on a des pièces uniques, explique-t-il. Notre avantage, c’est nos palais. On a gouté des milliers de vins depuis tout petit. On n’est pas des experts, des oenologues, des sommeliers. C’est plutôt émotionnel, intuitif ».