Quand on parle à Thierry Sparfel de la baisse de l’euro face au dollar, il ne peut s’empêcher de rire jaune.
Fin 2013, sa société, TechnoSystems, filiale américaine d’une société française d’équipements audiovisuels, a décroché un beau contrat: construire la régie télé du futur Harmony of the Seas, un bateau de croisière construit en France pour un lancement en 2016. Après avoir initialement négocié le contrat en dollars, alors que l’euro était à son plus fort, son client décide “au moment de signer” de le faire en euros. En 2015, l’achat du matériel commence enfin mais la monnaie unique chute. Thierry Sparfel, qui doit être payé en euros, fait la moue. “Ça s’est cassé la gueule en un mois et demi. En gros, j’ai perdu ma marge. ” Il en est réduit à viser l’équilibre.
Au symposium mondial des conseillers du commerce extérieur, un grand rassemblement de chefs d’entreprises français qui se tenait jeudi et vendredi à Miami, les fluctuations du change euro-dollar créent son lot de gagnants et de perdants. Beaucoup des entreprises présentes lors du rassemblement commercent avec la zone euro. D’autres, des françaises, exportent vers ou envisagent de se développer aux Etats-Unis sur fond d’euro relativement bas face au billet vert. Après avoir frôlé la parité, la monnaie unique remonte légèrement pour avoisiner les 1,12 dollar en ce début mai.
Robin Calot, manager de l’application de feedback MyFeelBack, fait partie de ceux à qui l’euro a joué des tours. Sa société s’est récemment installée à New York, mais avait fait au préalable une levée de fonds… en euros. “On a perdu 100.000 euros à cause de la baisse, raconte-t-il. Notre budget était fait avec un euro à 1,26 dollar” . Il regarde le change “tous les jours“. “Quand on transfère une certaine somme d’argent en euro vers les Etats-Unis, on se demande combien on va recevoir à l’arrivée!”
Cette réalité du change impacte les stratégies d’implantation des entreprises françaises aux Etats-Unis. Elle peut avoir pour effet de favoriser les compagnies qui enregistrent des marges importantes, comme dans le luxe par exemple. C’est l’avis d’Etienne Lamairesse qui, en tant que conseiller du commerce extérieur pour le nord-est des Etats-Unis, guide les sociétés françaises qui veulent se lancer aux Etats-Unis. “Pour limiter, les risques liés au change, il faut avoir pouvoir produire localement aussi rapidement que possible et avoir une réserve de marge pour trois ans. L’entreprise doit avoir des avantages compétitifs majeurs pour se constituer ces réserves de marges. Si ça n’est pas le cas, il faut se poser la question fondamentale de rester aux Etats-Unis ou pas” .
Mais, poursuit-il, le taux de change ne devrait pas entrer dans la décision de s’implanter aux Etats-Unis ou non. “Le taux de change est un handicap passager. La chose essentielle est d’avoir une valeur ajoutée, des éléments de compétitivité majeurs” .
Toutes les entreprises ne sont pas affectées négativement par la baisse de l’euro, un phénomène qui, mécaniquement, favorise les exportations. Pour Alban Muller, le fondateur d’une société française du même nom spécialisée dans la fabrication de produits cosmétiques, la baisse de l’euro est une aubaine “historique” . Grâce au change, il envisage de se développer aux Etats-Unis (20% des ventes) en recrutant du personnel et trouver de nouveaux clients. “La baisse de l’euro est la bienvenue. On veut en profiter pour y aller plus fort sur les Etats-Unis. Surtout que l’économie stagne en Europe et que la reprise est très forte aux Etats-Unis” .
“Venez! ” dit pour sa part Pascal Gicquel, conseiller du commerce extérieur à New York, aux entreprises françaises qui veulent se lancer. “Il faut venir avant que le dollar soit encore plus fort, comme il le sera probablement en 2016-2017. C’est le moment de venir. Le jeu en vaut la chandelle. “