La fièvre Charlie Hebdo ne retombe pas au festival de littérature PEN. La décision de six auteurs de se retirer du gala du festival 2015, qui honorera l’hebdomadaire satirique, n’en finit pas de provoquer des remous.
Salman Rushdie, ex-président de ce grand rendez-vous littéraire, s’est fendu d’un tweet pour dire tout le bien qu’il pensait des critiques, décrits comme “six pussies” et “des écrivains à la recherche d’un peu de caractère” . L’auteur, cible d’une fatwa depuis la sortie de ses Versets sataniques, en a rajouté une couche dans une lettre envoyée aux organisateurs de PEN dans laquelle il parle des six auteurs comme des “compagnons de route” de “l’islam fanatique, qui est très organisé, très bien financé, et qui cherche à nous terrifier tous, musulmans et non-musulmans, et à nous réduire au silence” .
Le rédacteur-en-chef de Charlie Hebdo Gérard Biard et l’essayiste Jean-Baptiste Thoret, qui n’était pas à la rédaction lors de l’attaque, doivent accepter le “Freedom of Expression Courage Award” lors du gala de PEN le 5 mai, devant 800 écrivains, éditeurs et autres professionnels du livre, au Musée d’histoire naturelle de New York.
Mais six écrivains (Peter Carey, Michael Ondaatje, Francine Prose, Teju Cole, Rachel Kushner et Taiye Selasi) ont aussitôt fait savoir au leadership de PEN qu’ils ne seraient pas de la partie. Le New York Times a raconté que Rachel Kushner a envoyé une lettre aux organisateurs pour dénoncer “l’intolérance culturelle” de Charlie Hebdo. Tandis que Peter Carey a fustigé “l’arrogance culturelle de la nation française, qui ne reconnait pas son obligation morale envers une grande et impuissante partie de sa population” . Dans le journal britannique The Guardian, Francine Prose, qui fut la présidente du PEN American Center, assure pour sa part qu’elle “admire le courage de Charlie Hebdo, mais qu’il ne mérite pas un Prix de PEN” .
Jeudi 30 avril, elle a indiqué à la station de radio publique NPR avoir été rejointe par près de 150 auteurs, signataires d’une lettre ouverte contre la décision de PEN. La controverse rappelle les débats qui avaient eu lieu aux Etats-Unis autour des “Je ne suis pas Charlie”. Ces derniers, à l’image de l’éditorialiste David Brooks dans le New York Times, critiquaient les “Unes” jugées offensantes de l’hebdo.
Face aux critiques, les pro-Charlie ont fait entendre leur voix à grands coups de tribunes dans la presse. C’est le cas d’Adam Gopnik qui se livre dans The New Yorker à une longue explication sur “Pourquoi PEN a tous les droits d’honorer Charlie Hebdo” . Même chose dans The Nation ou dans Slate où la journaliste russo-américaine Masha Gessen affirme que “nous, les écrivains qui constituons PEN, ne pouvons pas faire grand-chose pour protéger nos collègues contre la rage meurtrière, mais nous pouvons montrer que nous faisons attention, en leur donnant un Prix pour le courage qu’ils affichent tous les jours” .
Dans le New York Times, le président de PEN raconte qu’il savait que la décision de récompenser Charlie Hebdo serait controversée. Dans un communiqué, l’organisation déclare que les journalistes de Charlie “ont payé le prix ultime pour l’exercice de leur liberté, et ils ont poursuivi leur travail malgré des pertes dévastatrices” . Gérard Biard et Jean-Baptiste Thoret participeront le 5 mai, avant le gala, à une conférence gratuite à NYU sur la liberté d’expression.