C’est un voyage très attendu. Samedi 13 mai, Thomas, 3 ans et demi, et sa famille, décolleront de France pour la Californie. Mais ce ne sont pas des vacances qui attendent cette famille de l’Isère. Le petit garçon est né sans oreille (la microtie) et sans canal auditif à droite (l’atrésie). Cette maladie rare, appelée l’aplasie, le prive d’audition de ce côté. Il doit être opéré à San Francisco afin de retrouver l’ouïe, avant une convalescence à Los Angeles, 650 km au sud. Cela fait des mois que ses parents, Yves et Stéphanie Belmont, préparent ce périple médical de cinq semaines aux États-Unis.
Ils ont remué ciel et terre pour que leur fils bénéficie de cette opération unique au monde. « Elle va durer huit heures, en ambulatoire, explique Yves, depuis la France. On va recréer à Thomas un conduit auditif, un tympan, des osselets en matériau chirurgical et on va lui poser une prothèse d’oreille. » L’objectif : que l’enfant, aujourd’hui appareillé, entende de ses deux oreilles. « Nous n’avons pas foncé tête baissée, mais c’est la seule opération qui permet de redonner l’audition, et elle marche », insistent Yves et Stéphanie.
Cela fait une trentaine d’années que deux chirurgiens californiens, les Dr Reinisch et Roberson, pratiquent cette opération dans une clinique privée de Palo Alto. Elle n’existe pas en France et son coût est exorbitant : 100 000$, non remboursés par la sécurité sociale, sans compter les frais du voyage. Cette somme, ce couple d’Isérois a pu la réunir grâce à un formidable élan de solidarité suscité à travers leur association La vie en stéréo. Le témoignage d’autres parents ayant fait opérer leur enfant aux États-Unis a aussi été déterminant.
De plus en plus de familles françaises confrontées à l’aplasie entreprennent le voyage en Californie. Une trentaine de petits Français ont déjà été opérés aux États-Unis depuis le premier cas en 2019, selon Ludovic Le Bihan, président de la Fédération française de l’atrésie microtie, qui rassemble familles, associations et médecins. « En France, aucune étude ne comptabilise le nombre d’enfants atteints de cette maladie rare, même si le chiffre d’une naissance sur 15 000 est parfois avancé », souligne le père de famille, qui se bat pour faire avancer les connaissances autour de l’aplasie.
La décision de programmer une opération aux États-Unis n’est jamais prise à la légère tant elle relève du parcours du combattant. Afin de réunir les fonds, ces familles parfois modestes consacrent des heures à créer une association, un site Internet, une page Facebook, monter une cagnotte, multiplier les événements, médiatiser leur histoire… Une fois en Californie, au stress de l’opération s’ajoutent la barrière de la langue et la gestion de la logistique. Mais pour les parents qui font ce choix, le gain d’audition est souvent de nature à changer la vie de leur enfant.
Un autre petit Thomas, près de Metz, a été opéré en Californie en janvier 2021, « le lendemain de ses cinq ans », se souvient sa maman, Patricia Pigeon. Par écrans interposés, le petit garçon montre fièrement sa « nouvelle oreille ». « Il a retrouvé 70% d’une audition normale, se réjouissent ses parents. Mais il a surtout gagné confiance en lui. Avant, il pleurait tous les jours avant d’aller à l’école et devenait agressif. Du jour où il a été opéré, ça a été fini. Aujourd’hui, il est épanoui, moins fatigué. Il n’a plus besoin de son appareil auditif. » Deux ans plus tard, ils gardent même un bon souvenir de leur périple californien, immortalisé dans un album photo.
Ces familles peuvent compter sur le soutien de la communauté française expatriée en Californie. À Los Angeles, où se fait le long suivi post-opératoire, l’association Los Angeles Accueil sollicite régulièrement ses membres pour leur venir en aide. « Ceux qui peuvent les hébergent, leur prêtent une voiture ou organisent des rencontres entre enfants pour égayer leur séjour », détaille Elisabeth Nataf, « très touchée » par le courage des familles qu’elle accompagne à Los Angeles depuis trois ans.
Alexandra et Jean-François Malingre, qui vivent dans l’Ouest de la France, ont ainsi dû revenir en urgence à LA pour que Louison, 10 ans, soit ré-opérée suite à une complication. Ce jeudi 30 mars, la petite fille, foulard fleuri sur la tête pour cacher son pansement, nous ouvre la porte de la belle maison de Pacific Palisades où un compatriote les loge gratuitement. Dans le salon ensoleillé avec vue sur l’Océan Pacifique, ils nous racontent leur combat pour que Louison entende. L’endettement, les doutes, les heures supplémentaires au travail… Et cette immense vague de solidarité qui les a portés alors qu’ils se trouvaient « au pied de l’Everest ».