« J’étais avec mes étudiants. C’était très émouvant. Je me suis retrouvé au bord des larmes ». Charpentier enseignant dans une école professionnelle à Boston, Michael Burrey se souvient d’où il était et de ce qu’il faisait ce 15 avril 2019, quand un incendie a failli emporter Notre-Dame de Paris à des milliers de kilomètres de là. « Vu de loin, la situation avait l’air très préoccupante », se souvient-il.
À l’époque, il était bien loin de se douter qu’il ferait partie d’une petite dizaine d’artisans américains mobilisés à travers l’association Charpentiers Sans Frontières et d’autres réseaux pour restaurer la cathédrale, qui rouvrira ses portes le samedi 7 décembre en présence d’une cinquantaine de dirigeants, dont Donald Trump. Michael ne parlait pas la langue de Molière et n’avait jamais mis les pieds en France – bien que ses parents ont visité Notre-Dame dans les années 1960. Et pourtant, en 2023, il a débarqué chez Asselin, une entreprise de charpente traditionnelle spécialisée dans la restauration de monuments historiques, établie dans la petite ville médiévale de Thouars (Deux-Sèvres).
Pendant trois mois, il a mis son savoir-faire – et sa hache large – au service de la reconstruction d’une partie de la flèche de l’édifice aux côtés de « Compagnons du devoir » français. « Ils ne savaient pas vraiment à quoi s’attendre en travaillant avec un Américain. D’autant que je ne parle pas bien la langue, sourit-il. Heureusement, on utilise beaucoup l’anglais dans la profession ».
L’histoire de ces artisans n’est pas aussi connue que celle des donateurs qui ont mis la main à la poche pour Notre-Dame, mais elle offre une autre illustration de la solidarité franco-américaine qui s’est manifestée dans le sillage de l’incendie. La French Heritage Society, un organisme dédié à la préservation de monuments français qui a levé des fonds pour Notre-Dame, a mis à l’honneur l’un d’eux, le charpentier new-yorkais Hank Silver, lors de son dernier gala, en novembre.
Pour ces professionnels, répartis entre plusieurs compagnies travaillant sur différents aspects de ce projet titanesque, cette expérience a représenté un moment fort. « C’était le pinacle de ma carrière », lance Jackson DuBois, qui a travaillé chez Asselin en même temps que Michael Burrey. « Le fait de voir différents corps – plombiers, tailleurs de pierre, maçons, ferronniers – collaborer sur un même site a été profondément enrichissant », explique celui qui dirige la Timber Framers Guild, un groupe professionnel chargé de promouvoir les métiers de la charpenterie.
Lointain descendant de Huguenots (protestants francophones) venus s’installer dans l’actuel État de New York au XVIIe siècle, il a également été touché par l’accueil de la population locale. « Avec Michael, nous allions tous les jours au bar-tabac du coin dans nos habits poussiéreux pour fumer ou boire un verre après le travail. Personne ne savait qui nous étions jusqu’au jour où nous sommes venus avec notre hôte, qui a expliqué à tout le monde pourquoi nous étions là, se remémore-t-il. Après ce moment, les propriétaires du bar voulaient nous serrer la main tous les jours et les vieilles dames venaient nous voir ! Pour les Américains, Notre-Dame est un objet lointain et exotique, mais en France, nous avons ressenti une reconnaissance énorme de la part des habitants ».
Dans le village de Nassandres-sur-Risle (Normandie), Will Gusakov a constaté la même ferveur. « Tout ceux qui ont travaillé sur Notre-Dame étaient des célébrités locales », explique ce charpentier qui a fondé sa propre entreprise dans le Vermont. Lui a rejoint en 2024 les Ateliers Desmonts, une société normande spécialisée dans le travail du bois selon des techniques ancestrales. L’entreprise, dirigée par le tandem père-fils Rémy et Loïc Desmonts, a été chargée de reconstruire « la forêt », l’impressionnante charpente (d’origine médiévale, pour l’essentiel) qui surplombe la nef, à l’identique. Will, qui parle le français couramment, avait vécu près de Notre-Dame lors d’un échange avec les Compagnons du devoir. « Quand on m’a proposé de revenir pour participer à ce projet, c’était irréel. J’étais enthousiaste, mais je me suis demandé si je n’étais pas égoïste car j’avais deux enfants de 1 et 3 ans à ce moment-là », raconte-t-il. Il a résolu le problème en prenant sa petite famille dans ses valises. « J’étais inquiet car la Normandie, en hiver, n’est pas le meilleur endroit où aller, d’autant que nous étions dans un milieu très rural. Mais tout s’est très bien passé ».
Laura et Rick Brown n’ont pas directement participé à la reconstruction de la cathédrale, mais c’est comme si… Après l’incendie, leur organisation, Handshouse Studio, dans le Massachusetts, a rassemblé étudiants, volontaires et une quarantaine de charpentiers, dont Michael Burrey et Jackson DuBois, pour rebâtir une ferme (structure de bois triangulaire supportant le toit) en utilisant des techniques héritées du Moyen-Âge. Le résultat a été montré sur le Mall et au National Building Museum (Washington), à Columbia (New York) ou encore à Ann Arbor (Michigan) à des fins pédagogiques. Ils aimeraient aussi le présenter en France.
Leur ambition : sensibiliser le grand-public au savoir-faire requis pour construire un tel monument. « Parce que nous sommes une association dédiée à l’apprentissage de l’histoire à travers la construction, nous recevions des coups de fil de la part de personnes qui voulaient que nous nous impliquions dans la reconstruction alors que l’incendie n’était pas encore éteint. Ce projet était comme un appel aux armes pour nous »., explique Rick Brown via Zoom.
« Nous avons fait cette ferme pour mettre en œuvre les connaissances utilisées pour faire la version originelle et mieux les préserver et les partager », ajoute Laura, son épouse.
Le couple l’assure, « la réouverture de la cathédrale sera très émouvante pour nous comme pour tout ceux qui ont travaillé dessus ». Suscitera-t-elle des vocations ? Jackson DuBois l’espère. « La restauration de Notre-Dame a mobilisé beaucoup de personnes qui étaient au début de leurs carrières. Ce travail fera partie intégrante de leur formation et son impact durera des générations, veut-il croire. Pour ma part, j’en parlerai à mes petits-enfants ».